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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/947

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contre ce Victor que sur la demande de ses camarades. Il est vrai aussi que M. Decaze, ministre de l’intérieur, pour empêcher un conflit entre l’intendance des Menus plaisirs et les tribunaux, signa un passe-port à ce criminel d’État. En 1820, pareil éclat ne put être évité : une chanteuse, Mlle More, étant applaudie à Rouen, fut mandée par le duc d’Aumont à l’Opéra-Comique ; elle s’empressa d’obéir, son directeur la poursuivit, et les juges donnèrent gain de cause à cet intraitable citoyen. En 1826, un autre procès montre assez en quelle estime la magistrature tient les gens de théâtre. Le prêtre, à Marseille, a loué le premier étage d’une maison ; le second, sur ces entrefaites, est loué par Saint-Alme, « basse-taille noble. » Le prêtre ne trouve pas que cette basse-taille soit assez noble : il demande la résiliation de son bail ou l’expulsion du voisin, de sa femme légitime et de ses enfans ; la justice lui donne raison. Comment, après cela, ne pas remercier cette mauvaise tête de Victor qui, en 1829, revient à la charge et adresse aux députés une pétition ? Il demande que le régime des théâtres soit réformé. Le rapporteur, M. Daunart, dit bien haut que « ces règlemens, si contraires à nos lois constitutionnelles, indiquent assez la nécessité d’une législation qui donne aux comédiens ce qui appartient à tous les Français, la liberté légale et le droit commun. » La Chambre, étonnée des rigueurs auxquelles cette classe de citoyens est encore exposée, adopte à l’unanimité les conclusions du rapport.

Cy-finit, pour ne jamais recommencer sans doute, le martyrologe des acteurs. Depuis 1830, ils se sont peu à peu établis, en effet, dans la jouissance du droit commun. L’Église a renoncé à les rejeter dans les ténèbres extérieures, et la société civile à les fourrer au cachot. En 1847, malgré l’Encyclopédie théologique de l’abbé Migne, qui les flétrissait encore à titre de pécheurs publics et d’excommuniés, Mgr Affre permettait à Rose Chéri de rester au théâtre, mariée chrétiennement. Le même prélat, en 1847, se déclarait fort embarrassé pour lever l’excommunication des comédiens, parce qu’il ne croyait pas que pareille sentence eût jamais été prononcée. Enfin, l’année suivante, le concile de Soissons fixa la discipline pour toute la France et réduisit à la douceur les plus obstinés rituels : « Quant aux comédiens et aux acteurs, nous ne les mettons pas au nombre des infâmes ni des excommuniés. » Après quinze siècles et demi, on se décidait à ne plus appliquer strictement le soixante-deuxième canon du concile d’Elvire, touchant les cochers du cirque, pantomimes et comédiens. Pourquoi, demande avec raison un indiscret[1], n’avoir pas maintenu en vigueur tout aussi longtemps le soixante-neuvième : « Si un fidèle joue de l’argent aux dés, il sera excommunié ? » Aujourd’hui, ces bienfaits de la tolérance moderne sont acquis : entre toutes les doctrines gallicanes,

  1. M. René de Semallé ; voyez le Moliériste de septembre 1885.