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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/948

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ce n’est pas le système hostile aux comédiens que l’Église de France ira jamais reprendre : elle les recevra toujours, si j’ose dire, à sainte table ouverte.

Les comédiens, à présent, sont électeurs, éligibles; ils sont soldats, ils peuvent être officiers dans la réserve ou dans l’armée territoriale. M. Christian, des Variétés, si j’en crois M. Maugras, était récemment maire de Courteuil. J’ignore quelle est sa situation militaire; mais, s’il a des états de service, ni la loi ni les règlemens ne s’opposent à ce que, le mois dernier, avant d’arborer le panache du général Boum, il ait pris part aux grandes manœuvres avec une tresse de galons sur sa manche.

Est-ce à dire qu’ils aient enlevé franchement, ces héros de nos fêtes nationales depuis un siècle, le dernier petit ruban qui flotte en haut du mât de cocagne? Non, pas encore. La croix de la Légion d’honneur gagnée par son courage de soldat, Seveste l’a reçue comme agonisant; la croix gagnée par leur talent de comédiens, Samson et Régnier l’ont obtenue comme professeurs; et, de même (avec permission, il est vrai, de rester sur les planches), MM. Got, Delaunay, Maubant; M. Febvre, par une fiction plus étrange, a été décoré comme philanthrope. Nos gouvernans, à l’heure qu’il est, ne seraient-ils pas plus hardis que Napoléon?.. En théorie pure, la croix étant faite pour marquer un mérite qui sans elle risquerait de passer inaperçu, le mérite du comédien, essentiellement public, est celui de tous auquel cet ornement est le plus inutile. En fait, je conçois qu’un galant homme souffre un peu de voir refuser cet honneur à son état, même s’il ne le souhaite pas pour sa personne.

La croix de la Légion d’honneur, c’est le sacrement laïque : si les puissances du jour la marchandent, — je veux dire la donnent avec peine et par tant de détours, — aux comédiens, c’est qu’un peu de préjugé subsiste encore à l’endroit de ces candidats. Ce préjugé, plus d’un libre esprit le conserve sans scrupule, se disant qu’il est de ceux-là qui, selon l’expression de Collé, « même comme préjugés, sont fort utiles. » Plus d’un, avec M. de Marnésia, est d’avis que, s’il ne faut pas flétrir cette profession, il ne faut pas l’honorer, et qu’entre les honneurs et le déshonneur il y a l’estime. Plus d’un, petit-fils de Voltaire, ne prétend pas s’avancer plus loin que son aïeul; or celui-ci, entre deux lettres encourageantes à la Clairon, écrivait à M. d’Argental : « J’estime les comédiens quand ils sont bons, et je veux qu’ils ne soient ni infâmes dans ce monde, ni damnés dans l’autre; mais l’idée de donner la cousine de M. de La Tour du Pin à un comédien est un peu révoltante. »

Constitués en public, les hommes demeurent enclins à se regarder comme les maîtres des comédiens, et non-seulement de leur succès, mais de leur personne : vieille habitude ! Lorsqu’un acteur favori