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dans les alliances qui se déplacent ou se modifient tour à tour sous une influence invisible. Des questions qui, depuis des années, sont le casse-tête des chancelleries, ne se dénouent pas, et aux vieilles questions, toujours plus embrouillées le lendemain que la veille, viennent souvent se mêler des questions nouvelles, tout aussi difficiles à résoudre. Un se sent à la merci de l’imprévu, des incidens, du choc des antagonismes qui peuvent éclater à tout propos, au cœur de l’Europe ou en Orient, aux portes du continent ou même dans des régions plus lointaines. Au moment où l’on y songe le moins, c’est un conflit à Madagascar; c’est une autre complication au Maroc, où la vie du sultan semble en danger, où peut s’ouvrir, d’un instant à l’autre, une succession disputée autour de laquelle s’agitent déjà avec jalousie les puissances qui ont des intérêts dans la Méditerranée. L’Angleterre envoie ses vaisseaux en observation ; l’Italie parle d’envoyer des cuirassés devant Tanger. L’Espagne, qui se souvient de la guerre du Maroc, a eu l’idée un peu prématurée de réunir des forces militaires sur les côtes de l’Andalousie. La France, qui n’est pas la moins intéressée et qui n’a d’ailleurs aucun dessein sur le Maroc, ne peut rester en arrière. Tout est en mouvement au moindre signe sur un point quelconque. Bref, l’Europe est visiblement dans un de ces états vagues et maladifs où l’on passe son temps à s’observer, où on ne sait jamais ce qui sortira d’un accident inattendu, d’une rencontre entre des ministres, d’une combinaison délibérée en secret. C’est là, pour le moment, le fait certain et caractéristique dans la situation générale du monde.

Heureusement, si précaire, si difficile que soit cette situation générale, tous les incidens ne finissent pas par des conflits, et le plus récent, celui qui aurait pu être le plus grave, a eu un dénoûment digne de deux grandes puissances. Les relations entre la France et l’Allemagne à la frontière des Vosges sont d’un ordre si particulier, si délicat, que le fait le plus insignifiant peut prendre tout à coup le caractère le plus sérieux, avoir les conséquences les plus redoutables: à plus forte raison lorsqu’il y a eu, comme dans cette dernière affaire de Vexaincourt, un malheureux mortellement atteint, un jeune homme gravement blessé. Par lui-même, ce lugubre incident de frontière ne prêtait sans doute à aucune équivoque. Le fait tout simple, c’est que des Fran(;ais chassant en France, se livrant à un plaisir inoffensif sur le sol de leur pays, avaient essuyé le feu d’un soldat allemand embusqué sur le territoire voisin. Le danger était dans les émotions, les susceptibilités qui devaient inévitablement s’éveiller, qui pouvaient mettre la passion là où il y avait avant tout une question d’équité internationale à régler, et embarrasser les gouvernemens dans l’action régulière de leur diplomatie. La netteté avec laquelle les gouvernemens se sont conduits a eu précisément pour résultat de ne pas laissera la passion