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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/125

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s’arrêter et demander au ciel un nouvel ouragan. Le 25, l’ouragan répondit aux vœux des audacieux marins. Il y répondit avec un redoublement de foreur. La Gloire reprit sa route. Elle courait vent arrière à l’est-nord-est, sous la misaine et le grand hunier au bas ris, quand les vigies signalèrent tout à coup un navire en cape, à quelques lieues sur l’avant de la frégate. On s’approche : le navire aperçu est une corvette anglaise. — « Elle me fit des signaux, écrit dans son rapport de mer le commandant Roussin : quand elle nous eût jugés, elle augmenta de voiles pour s’échapper. J’en fis autant pour la poursuivre, mais ma position était bien moins critique que la sienne. Je puis dire, sans aucune exagération, que cette corvette était plus souvent sous l’eau que dessus. À deux heures et demie, je l’atteignis. Son capitaine manœuvra parfaitement : virant plusieurs fois de bord lof pour lof, il me contraignit à l’imiter. Mes mouvemens, beaucoup plus lents que les siens, en raison de nos longueurs respectives, lui donnaient, à chaque virement de bord, une avance qu’il fallait lui regagner chaque fois. Je ne pouvais lui envoyer que de temps en temps quelques coups de caronade des gaillards, et encore la mer était-elle si grosse que tous les coups étaient extrêmement incertains. Enfin, à trois heures et demie, j’avais atteint son travers sous le vent : il tenta pour la dernière fois la manœuvre qu’il avait déjà faite et laissa arriver subitement sur mon avant. Nous étions alors si près l’un de l’autre qu’il faillit tomber sous mon beaupré. Si je ne fusse venu au vent, je lui passais sur le corps. Il se trouvait, dès ce moment, sous le vent à moi. Saisissant entre deux lames un moment d’embellie, je pas ouvrir ma batterie et lui tirer deux volées qui m’en rendirent maître. » — Ces deux volées avaient emporté la vergue de misaine, la corne, le beaupré de la malheureuse petite corvette. Il ne pouvait plus être question pour elle de virer lof pour lof et de tenir le vent. Désemparée de son phare de l’avant, elle était nécessairement perdue. C’est ainsi que fut capturée, le 25 février 1813, à l’entrée de la Manche, la corvette à gaillards de sa majesté britannique, le Linnel, navire de 200 tonneaux, à peine plus grand que la Comète, mon second commandement ; navire armé de quatorze caronades de 18 et de deux canons de 6, monté par 75 hommes d’équipage et commandé par le lieutenant John Tracey.

Le spectacle de cette chasse acharnée au milieu du tumulte des élémens n’a-t-il pas quelque chose de saisissant ? Le cœur d’un vrai marin n’y résiste pas. Le patriotisme un instant fait silence et tout l’intérêt se concentre sur le chétif ennemi qui défend si courageusement sa liberté. La frégate n’a-t-elle pas, elle aussi, de superbes allures ? Ses mâts craquent, ses voiles, gonflées comme des ballons, menacent à chaque instant d’éclater ; penchée sur le flanc,