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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/154

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directe par le peuple, qui doit décider de la paix et de la guerre ; les milices nationales remplaçant les armées permanentes ; l’abolition de toute loi d’exception, en particulier des lois qui mettent des bornes à la libre manifestation de la pensée ; la justice gratuite rendue par le peuple, moyennant des tribunaux électifs ; l’éducation des enfans gratuite, égale, obligatoire. Dans les conditions actuelles de la société, les représentans élus du parti ouvrier allemand doivent réclamer tout le développement des libertés politiques ; un seul impôt progressif ; le droit illimité de coalition ; la fixation d’une journée normale de travail, suivant les besoins sociaux ; l’interdiction du travail des enfans et de tout travail de la femme, contraire à l’hygiène et aux bonnes mœurs ; des lois protectrices de la vie et de la santé des ouvriers ; une loi réglant le travail des détenus dans les prisons ; l’affranchissement des caisses de secours. Ces dernières propositions nous ramènent aux motions actuellement à l’ordre du jour au Reichstag, acceptées en partie par le parlement et par le gouvernement. Agir d’abord dans le cadre de la nationalité, en reconnaissant les devoirs de la solidarité internationale, pour réaliser la fraternité de tous les hommes et aboutir à la république universelle, voilà la tactique suivie par les socialistes allemands avec une. discipline sévère et une persévérance inébranlable.

Devenue une puissance avec laquelle les pouvoirs existans se voient obligés de compter, le socialisme, entant que parti politique, n’a pas encore vingt-cinq ans d’existence en Allemagne. En France, la fameuse formule du programme de Gotha : à chacun suivant ses besoins, a déjà trouvé dans les ateliers nationaux de 1848 une application, dont l’expérience n’est pas de nature à inspirer confiance dans l’efficacité de l’organisation communiste du travail. Toutefois, le mouvement socialiste qui remua chez nous les classes ouvrières pendant les dernières années du règne de Louis-Philippe ne s’est pas propagé au-delà du Rhin. Comme l’a fait remarquer ici même[1] M. Émile de Laveleye, sauf dans le pays de Baden, les ouvriers allemands n’étaient pas préparés à comprendre. L’esprit féodal régnait encore, et son influence dominait toujours dans les autres états de la Confédération germanique, bien que les institutions de l’ancien régime y eussent déjà disparu en partie. Les artisans y restaient soutenus et contenus par les corporations de métiers, que les partis conservateurs s’efforcent de consolider à nouveau sous nos yeux. La grande industrie manufacturière était, à ses débuts, bien en retard sur le développement acquis par l’exploitation capitaliste en Angleterre et en France. Les classes inférieures, ne s’imaginant pas que

  1. Voir la Revue du 1er septembre et du 15 décembre 1876.