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eu le manuscrit de mon esquisse écrite en 1842, il n’aurait pu en faire un meilleur résumé. Ses propres termes sont les titres de mes chapitres. Je vous prie de me renvoyer le manuscrit : il ne me dit pas qu’il désire le publier, mais naturellement je lui écrirai et je lui offrirai de l’envoyer à n’importe quel journal. De la sorte, toute mon originalité, quelle qu’elle puisse être, va se trouver anéantie bien que mon livre, s’il a jamais quelque valeur, n’en doive aucunement souffrir, car tout le travail consiste dans l’application de la théorie. J’espère que vous approuverez l’esquisse de Wallace et que je pourrai lui dire ce que vous en pensez.


Cette lettre caractérise Darwin, et la dernière phrase est encore bien de lui : la question de priorité lui paraît secondaire, l’essentiel est que la théorie soit publiée. Il faut dire, du reste, que dans cette circonstance, où tant de savans se fussent disputés et eussent récriminé sans fin, — nous en avons chaque jour des exemples à propos de découvertes secondaires, — Darwin et Wallace se sont conduits d’une façon particulièrement noble et généreuse, comme il convient à des esprits vraiment élevés. En fait, tous deux étaient arrivés, d’une façon indépendante, aux mêmes conclusions : Darwin avait certainement la priorité réelle, car le sujet l’occupait depuis plus de vingt ans, mais Wallace le plaçait dans une situation fausse par l’envoi de ce manuscrit, dont il ne demandait d’ailleurs pas la publication. Darwin pouvait parfaitement publier, soit son esquisse de 1844, soit un mémoire plus étendu : il n’y songe pas ; dès le début, il pense à faire publier le mémoire de Wallace. Le cas est embarrassant, et il en écrit à Lyell une semaine après :


L’esquisse de Wallace ne contient rien qui ne soit déjà plus développé dans mon esquisse copiée en 1844, et dont Hooker a pris connaissance il y a une douzaine d’années. Il y a environ un an, j’ai envoyé à Asa Gray un résumé de mes vues dont j’ai gardé la copie (à cause de notre correspondance sur plusieurs points), de sorte qu’il m’est possible d’affirmer avec vérité et de prouver que je n’emprunte rien à Wallace.

Je serais très heureux de publier maintenant une esquisse de mes vues générales en une douzaine de pages environ, mais je me demande si je puis le faire honorablement. Wallace ne parle pas de la publication, et je vous envoie sa lettre. Comme je n’avais aucune intention de publier une esquisse ; puis-je le faire honnêtement maintenant que Wallace m’a envoyé un aperçu de sa doctrine ? Mais il m’est impossible de discerner si en publiant maintenant je n’agirais pas d’une façon vile et mesquine. Cela a été ma première impression, et