mal imaginée. » Quel mystère donc et quelle énigme ! « En vérité, cela ne s’appelle pas vivre, mais mourir mille fois, que de passer ainsi toute sa vie dans des inquiétudes et dans une crise de dix-huit mois[1]. »
Deux jours se passent encore, et une révélation inattendue vient dissiper ce que le doute ajoutait de tourment à l’inquiétude. Le 11 novembre, jour où l’on suspendait dans la principale église de Berlin les trophées de Friedberg et de Sohr, le ministre de Suède, Rudenschold, s’approche du roi, pendant la cérémonie, et l’avertit à l’oreille qu’il a une communication importante à lui faire de la part de son collègue résidant à Dresde. Il faut se rappeler que, depuis le mariage de la princesse Ulrique avec l’héritier de la couronne de Charles XII, l’heureuse influence de cette charmante jeune femme avait établi les plus affectueux rapports entre son frère et son époux ; toutes les légations suédoises devenaient par là presque des ambassades de famille. Or, voici ce qu’écrivait Wolfenstiern, le ministre de Suède accrédité auprès d’Auguste XII : Pendant un dîner auquel il assistait, le comte de Brühl s’était emporté, après boire, en paroles violentes contre Frédéric, et, piqué d’être contredit, s’était laissé aller à déclarer qu’on aurait fini bientôt avec cet insulteur public et ce perturbateur du repos de l’Allemagne. En le pressant alors de questions insidieuses, on avait pu tirer de lui, sans presque qu’il s’en rendit compte, tout le secret de la campagne qui allait s’ouvrir, et la soirée n’était pas finie qu’un courrier emportait le récit à Berlin[2].
La mèche était ainsi éventée, dès le premier jour, par l’incroyable légèreté du ministre saxon ; et, pour Frédéric, connaître un péril, c’était déjà l’avoir à moitié conjuré. Malgré la surprise où devait le jeter une découverte à laquelle il était loin de s’attendre, et quoiqu’il eût peine à en croire ses oreilles, son plan fut fait à l’instant. Il résolut de placer un corps d’armée en observation autour de Halle, en face de Leipzig, sur le point du territoire de la vieille Prusse où on lui annonçait que devait déboucher le général Grün, tandis que lui-même, avec un autre, suivant la lisière de la frontière qui sépare la Silésie de la Lusace, s’attacherait sans bruit aux pas du prince de Lorraine pour fondre à l’improviste sur lui, en le prenant, soit en front, soit à revers, suivant qu’il trouverait l’occasion plus favorable. Il faisait ainsi face à la double attaque dont il était menacé, sans pourtant, par une entrée trop précipitée sur le