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C’est en partant d’un principe qui assimile la matière animée à la matière inerte que Claude Bernard a été amené à donner à la méthode expérimentale une importance tout à fait exagérée. Sur cette pente, il va jusqu’à soutenir que la physiologie, appuyée sur des expériences, doit régir les phénomènes de la vie. Il semble pourtant qu’avant de les régir, elle doit les observer, tels que la nature les offre à nos regards ; autrement, elle met des hypothèses à la place de la réalité. L’expérimentation est sans doute fort utile, quand elle sait se borner à un service secondaire, suivant le conseil de Cuvier ; mais, en sortant de ses limites, elle devient presque un roman, où l’imagination prend une part très périlleuse. Du reste, Claude Bernard n’en admire pas moins « les machines vivantes, » dans lesquelles il reconnaît les propriétés les plus merveilleuses. En risquant, après tant d’autres, une définition nouvelle de la vie, il déclare que « la vie, c’est la création, et qu’elle a son essence dans la force, ou plutôt dans l’idée directrice du développement organique. » Ce sont les termes dont il se sert. Cette idée directrice, n’en déplaise à Claude Bernard, est bien près d’être la marque d’une intelligence toute-puissante. Aussi, le physiologiste s’arrête-t-il tout à coup dans cette voie ; et distinguant les causes premières et les causes secondes ou prochaines, il affirme que les causes premières sont absolument impénétrables. Il les laisse de côté, parce qu’il trouve que « le Pourquoi est une question absurde ; » il veut s’en tenir au Comment, qui seul est accessible à l’homme. Néanmoins, il avoue que l’idée de finalité est indispensable à la physiologie, tandis que le physicien et le chimiste n’en ont pas besoin. En effet, il serait bien difficile de nier que l’œil soit fait pour voir ; ou l’oreille, pour entendre. Par suite, Claude Bernard refuse à l’astronomie toute recherche d’une fin quelconque ; et il la réduit à n’être qu’une science d’observation pure. Sur ce point, il est en opposition formelle avec le juge le plus compétent, avec Laplace, qui voit dans l’astronomie une science de calcul, à laquelle il suffit de quelques arbitraires, en très petit nombre, trois au plus, pour construire le plus solide et le plus magnifique édifice dont l’esprit humain puisse se vanter.

Quant à l’histoire des sciences, Claude Bernard la conçoit d’une façon non moins singulière. Élève ou imitateur de M. Auguste Comte, il divise tout le passé en trois périodes. Il croit, avec les positivistes, que la science a débuté par être théologique ; il attribue la seconde phase historique à la philosophie, qu’il appelle aussi la raison ; enfin, la troisième période, celle où nous sommes, est parvenue à l’expérience, qui est la conquête définitive. Sous un autre nom, l’expérience ainsi comprise se confond avec l’état positif de