Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Auguste Comte. Cette théorie, quelque répandue qu’elle soit, n’a pas le moindre fondement, comme on essaiera tout à l’heure de le prouver. Ce n’est qu’une réprobation sommaire du passé et une glorification vaniteuse du présent. Mais, quand on comprend dans le même anathème la philosophie ou raison et la théologie, ne devrait-on pas voir que l’on frappe du même coup la science positive, qui, pour être équitable, aurait à s’efforcer d’être un peu plus modeste, et à se demander : qu’est-ce que peut bien être la science sans la raison ?

D’après de telles conceptions sur la nature des êtres animés, sur la méthode en physiologie et sur le passé de la science, on peut pressentir le jugement que Claude Bernard doit porter de la philosophie ; il se défie beaucoup d’elle, et il la traite parfois avec une sévérité qui n’est pas loin d’être un véritable mépris. Tout en accordant que l’esprit philosophique doit régner sur toutes les connaissances humaines et sur toutes les sciences, il veut restreindre son influence à être celle d’un simple excitant ; la philosophie est bonne à provoquer l’ardeur des intelligences, en leur posant des problèmes insolubles ; mais elle est incapable de les diriger. Ce qui la perd, c’est la manie du système ; car tout ce qui est systématique effraie Claude Bernard, comme si la science s’était jamais privée de faire des systèmes, comme si la physiologie n’avait pas les siens, même de nos jours, comme si la synthèse n’était pas nécessaire et absolument inévitable après l’analyse. C’est que, dans l’opinion de Claude Bernard, la philosophie, aveuglée par ses prétentions, n’est guère qu’un tissu de rêves ; elle n’a rien de scientifique ni de précis. L’indéterminé, comme il le dit expressément, est son domaine, tandis que le déterminé est le domaine exclusif de la science. La psychologie, qui est la partie essentielle de la vieille philosophie, n’est qu’une branche subordonnée de la physiologie. Il y a donc entre la philosophie et la science une sorte d’antagonisme. « Elles peuvent bien s’unir et s’entr’aider, dit Claude Bernard, sans vouloir se dominer l’une l’autre ; mais si, au lieu de se contenter de cette union fraternelle pour la recherche de la vérité, la philosophie voulait entrer dans le ménage de la science, et lui imposer dogmatiquement des méthodes et des procédés d’investigation, l’accord ne pourrait certainement plus exister. La philosophie ne fait que suivre la marche de l’esprit humain, de même que les grands hommes ne sont que fonctions de leur temps, qu’ils représentent, mais qu’ils ne font pas. » Si nous comprenons bien la pensée du physiologiste, c’est une exclusion péremptoire qu’il oppose à la philosophie ; il ne veut pas d’elle dans la science ; et la science aurait même grand profit à s’en passer. A notre avis, c’est