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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/320

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plutôt, c’est qu’il a négligé d’y regarder. Le phénomène n’en est pas moins certain ; l’individu pensant se dédouble, lorsqu’il se prend pour objet de son observation. Ce privilège, qui est exclusivement celui de l’homme, s’appelle la réflexion, ou le fait de conscience. C’est mutiler l’esprit humain que lui retrancher cette faculté, dont il jouit sans cesse, bien qu’il oublie trop souvent, comme M. Comte, l’emploi perpétuel qu’il en fait.

De cette première méprise, il en est sorti une foule d’autres, qui sont presque aussi graves. Le passé de l’intelligence humaine n’a pas été mieux observé que son état actuel et permanent. Qu’est-ce que sont ces trois périodes dans lesquelles on divise tout son développement ? Où a-t-on vu que la science avait été d’abord théologique, puis métaphysique ; enfin, et seulement de nos jours, positive ? En remontant aussi loin que nous le pouvons dans les temps écoulés, qu’y a-t-il de théologique dans la poésie d’Homère ? A l’aurore de la science, qui s’annonce avec Thalès et Pythagore, six cents ans environ avant notre ère, où est la théologie ? Quel caractère théologique a la théorie des nombres ? Et les démonstrations de la géométrie et le pressentiment du vrai système du monde, est-ce là encore de la théologie ? Un peu plus tard, est-ce par la théologie que le père de la médecine est inspiré ? Ses œuvres, que nous possédons, en portent-elles la moindre trace ? Et les monumens historiques d’Hérodote et de Thucydide sont-ils théologiques ou métaphysiques aussi ? Même le platonisme, issu de Socrate, est-il théologique ? — L’histoire naturelle d’Aristote, dans les trois grands ouvrages qui la composent, sa politique, sa météorologie, sa psychologie, sa morale, sa logique, sa métaphysique, ne sont-elles pas le résultat et le fécond dépôt des observations les plus exactes et les plus nombreuses ? Ne renferment-elles pas un inappréciable trésor de faits étudiés avec autant de discernement et de soin que peut en avoir notre temps ? On sait d’ailleurs comment la science s’est éclipsée avec la chute de l’empire romain, et comment elle s’est délivrée peu à peu des ténèbres et des liens du moyen âge ; on sait aussi qu’à sa glorieuse renaissance, elle n’a fait que reprendre la route tracée et parcourue par l’antiquité ; elle a renoué alors la chaîne des âges. Depuis quatre cents ans, ses progrès sont immenses et d’un éclat incomparable ; mais, tout admirables qu’ils peuvent être, ils ne sont que la continuation du labeur des ancêtres, un héritage incessamment accru, que les siècles futurs accroîtront encore, accumulant sans fin des faits nouveaux, par les mêmes procédés dont les siècles passés se sont servis. La seule différence, c’est que le nombre des observateurs s’est augmenté prodigieusement, ainsi que les acquisitions scientifiques ; la seule différence, c’est que les