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usurpation nuit à la science, sortie de son domaine, et sert mal au progrès. Plus d’un savant s’y est trompé, même avec le secours du génie. Epris de l’étude à laquelle on se livre, on veut l’imposer pour modèle à toutes les autres. Ainsi Laplace pour l’astronomie, ainsi Cuvier pour l’histoire naturelle, se sont laissé séduire. Pour l’un, la méthode de l’astronomie, pour l’autre, la méthode de la zoologie, est la seule méthode que les sciences devraient adopter ; c’est l’école de la vraie logique. A plus forte raison, les mathématiciens sont-ils d’un pareil avis. Il est vrai que, pour soutenir leur ambition, ils peuvent invoquer l’autorité de Pascal, un de leurs maîtres, et le génie que l’on sait. Pascal avait cependant contribué à la composition de la Logique de Port-Royal, et cette collaboration aurait dû le retenir. Mais, bien que la revendication des mathématiques soit plus spécieuse que toute autre, elle n’est pas plus recevable ; et quand les mathématiciens se hasardent sur le terrain de la méthode, ils désertent le leur, où ils devraient demeurer.

La méthode, guide commun et instrument de toutes les sciences, ne pouvant appartenir à aucune d’elles, revient à la science générale et ne peut revenir qu’à celle-là. C’est à elle qu’aboutit tout le savoir ; c’est à elle de le conduire dans toutes ses voies, aussi sagement que le comporte l’infirmité humaine. La philosophie est donc chargée de la méthode ; et, de fait, elle s’en est toujours occupée. Socrate et Platon ont eu leur méthode ; Aristote a eu la sienne, qu’il a tracée presque aussi régulièrement que la traçait Descartes quand il écrivait cet immortel Discours touchant la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Victor Cousin, après avoir établi que la philosophie n’est pas autre chose que la réflexion en grand, ajoute qu’elle n’est guère qu’une méthode, et qu’aucune vérité ne lui appartient peut-être exclusivement. Cela est vrai, mais c’est un peu exagéré. La méthode n’est pas toute la philosophie, parce qu’elle en relève. Descartes a exposé les règles qu’il a suivies personnellement, sans vouloir exiger que les autres les suivent. On peut en adopter de différentes, bien que les siennes soient remplies de prudence.

Mais si les règles varient, l’obligation de la méthode ne varie pas. C’est un nouveau rapport de la philosophie avec les sciences, et un service qu’elle seule peut leur rendre. En le leur rendant, elle n’entre pas dans le ménage de la science ; c’est au contraire la science qui entre dans le ménage de la philosophie, quand elle agite incidemment une question capitale qui ne la concerne pas. Le reproche de Claude Bernard tombe de lui-même. Ceci ne veut pas dire que le mathématicien, l’astronome, le chimiste, ne puissent traiter de la méthode, s’ils le veulent ; mais alors ils doivent