savoir qu’ils ne font plus œuvre de chimie, d’astronomie, de mathématiques, mais œuvre de philosophie. Cette excursion peut leur être très profitable. La philosophie, loin de s’en plaindre, accueille les nouveau-venus ; elle est heureuse de se les acquérir et de les inspirer.
En fait de méthode, la philosophie est une science tout comme une autre, usant elle-même assidûment des procédés qu’elle conseille à autrui. Mais ici s’élève une question délicate et ardue. Où la philosophie trouve-t-elle les lois de la méthode ? A quelle autorité dominatrice et incontestable les emprunte-t-elle ? Est-ce elle qui les invente ? C’est peu probable, puisqu’elle est la première à s’y soumettre. Alors, à quelle source supérieure lui faut-il remonter ? Pour la plupart des hommes, c’est ici que l’obscurité commence ; pour la philosophie, c’est ici que la lumière éclate : c’est la raison qui confère à la méthode cette suprême autorité. Mais où l’esprit entend-il les oracles de la raison ? Grâces à Dieu, depuis Descartes, on ne peut plus hésiter ; c’est l’esprit qui, en se repliant sur lui-même, trouve en lui les règles qu’il se prescrit et qui s’étendent à tout. Il est « le réceptacle des axiomes » qui doivent gouverner tout le savoir et même toute la vie de l’homme. Bacon l’avait dit ; c’est Descartes qui l’a démontré, sans laisser désormais de place un peu solide à aucune objection.
Descartes attache à la méthode plus d’importance que ne l’a jamais fait aucun philosophe ni aucun savant. Peut-être même va-t-il trop loin quand il avance que la méthode fait toute la différence entre les hommes, attendu que la raison est tout entière en chacun de nous. C’est être bien modeste, quand on a soi-même un tel génie, de se mettre sur le niveau des autres mortels. Mais la méthode n’a pas tant de vertu ; elle ne peut pas nous conférer une puissance que nos facultés n’ont pas naturellement ; elle nous apprend simplement à mieux user de celles que nous avons reçues. Mécontent de la philosophie vulgaire, « qui ne donne que le moyen de parler vraisemblablement de toutes choses et de se faire admirer des moins savans, » honteux des disputes oiseuses qu’elle prolonge depuis plusieurs siècles, se défiant de la logique et même des mathématiques, « Descartes ne veut bâtir que dans un fond qui soit tout à lui ; » il ne veut réformer que ses propres pensées, sans rien demander à celles des autres. Or l’esprit ne peut avoir que deux objets d’observation : lui-même ou le dehors, le moi et le non-moi, le subjectif et l’objectif, selon le langage de l’école. Sans nier le second terme, Descartes s’en tient au premier ; et c’est exclusivement à l’esprit qu’il se confie. L’esprit peut mettre en doute toutes choses, quelles qu’elles puissent être ; mais il ne peut pas