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de la méthode, il annonce « sa résolution de ne consacrer le temps qui lui reste à vivre qu’à tâcher d’acquérir quelque connaissance de la nature qui soit telle qu’on en puisse tirer des règles pour la médecine. » Et d’où vient tant de prédilection pour l’art médical ? C’est que le philosophe est convaincu que, « s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, c’est dans la médecine qu’on doit le chercher. »

Bacon, avant Descartes, avait appliqué toutes les ressources de son génie et de son style à imprimer à la philosophie cette direction nouvelle. C’était en changer absolument le caractère et la fonction, comme devait l’essayer aussi Auguste Comte, qui se croyait l’héritier de Bacon, et qui a échoué encore plus complètement. Au temps de Bacon, la méprise se conçoit mieux ; on se débattait alors contre la scholastique, d’où l’on sortait à peine ; on sentait tout le vide de ses vaines formules, et l’on se précipitait avec passion à l’excès opposé, au risque de blesser la philosophie, frappée d’un anathème qu’elle ne méritait pas, et qui n’aurait dû atteindre que les ridicules de l’école. Lord Macaulay, si justement implacable envers le chancelier prévaricateur, ne trouve pas assez d’éloges pour une innovation qu’il qualifierait volontiers de prophétique. A l’entendre, c’est Bacon qui a suscité et inspiré les sciences appliquées ; qui leur a révélé leur avenir et leur fécondité inépuisable ; c’est lui qui a appris enfin aux philosophes à ne plus se payer de mois et à ne s’occuper que des choses ; à lui qu’est dû cet incomparable développement qui a commencé à son appel et qui ne s’arrêtera plus. Lord Macaulay fait bon marché d’un titre de gloire ordinairement attribué à Bacon ; l’induction avait été connue, décrite bien avant lui, et employée de tout temps ; lui-même n’en a rien su tirer. Mais son vrai titre, son titre impérissable, selon Macaulay, est d’avoir démontré que la philosophie doit avoir un but pratique et ne plus être uniquement un exercice de l’esprit ; en excitant les hommes à découvrir des vérités utiles, Bacon les a arrachés aux rêves d’une stérile spéculation. Aussi Macaulay, dans son enthousiasme de panégyriste, n’hésite-t-il pas à mettre l’artisan fort au-dessus du philosophe, parce que l’artisan, même le plus vulgaire, un cordonnier par exemple, est cent fois plus exact dans ce qu’il crée que le philosophe ne l’est dans ce qu’il dit. Au temps de Pompée et de César, Posidonius, blâmé par Sénèque, prônait déjà la philosophie pratique, avec autant de ferveur et aussi peu de raison.

Laissons à Macaulay la responsabilité de cette comparaison ; dans sa pensée, elle n’a rien d’injurieux ; et convenons qu’il a