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coup reparaître dans nos rangs, ou se préparer à y prendre place, la plupart des noms inscrits en 1778 sur les listes du grand corps : les Contenson, les Coriolis, les Maisonneuve, les Morogue, les Charitte. La base de la marine royale en 1830 n’en restait pas moins encore ce que j’ai appelé la marine de 1812.

La restauration voulait que sa marine fût une marine savante. Elle se croyait en droit d’attribuer nos revers aux grossières pratiques des officiers improvisés en 1792, et ne pensait pas que, pour commander les vaisseaux du roi, il suffit d’être « un homme de métier. » La restauration, en un mot, se faisait gloire du souvenir de Borda presque autant que de celui de Suffren. Je ne l’en blâmerai pas. Toute tendance cependant n’est bonne qu’à la condition de ne pas tomber dans l’exagération. Les observations et les calculs astronomiques prirent en quelques années une importance que le sujet ne comportait certes pas. On ne parlait plus que de distances lunaires, et l’avancement semblait en quelque sorte exclusivement promis à celui qui ferait le meilleur usage de son sextant ou de son cercle à réflexion. Un peu plus tard survint la manie des rapports. Des réputations s’établirent sur des dépêches plus ou moins bien tournées. Tout cela n’était pas en soi regrettable, pourvu que tout cela ne devînt pas puéril. Le danger eût commencé le jour où, sacrifiant à de vaines chimères, on aurait cessé de mettre en première ligne a le métier, » c’est-à-dire le grand art de manœuvrer et de combattre. J’ai vu poindre le temps où tout enseigne de vaisseau, assez riche pour payer le cens, allait, si l’on n’y prenait garde, aspirer à devenir député. Confiez donc un quart à d’aussi profonds politiques ! Le capitaine Roussin restera, par la juste proportion de ses aptitudes et de ses ambitions, un modèle achevé du véritable officier de marine. Il a été astronome, hydrographe à ses heures, négociateur, préfet maritime, ministre, représentant de son pays, dans les circonstances les plus délicates : il a mis, avant tout, sa gloire à savoir, mieux qu’un autre, conduire un vaisseau dans un chenal difficile ou au feu.

Le naufrage de la Méduse sur le banc d’Arguin eut, en 1816, un grand retentissement. Il servit de prétexte à une immolation générale. Les « rentrans » se virent à leur tour impitoyablement frappés. On les accusa en bloc d’ignorance. Le procédé est commode ; il a de plus l’avantage d’être assuré d’avance de la faveur publique. Dans ses enthousiasmes comme dans ses dénigremens, la France ne s’arrête jamais à mi-chemin. Pas une voix ne s’éleva d’ailleurs pour défendre le commandant Chaumaret. La seule excuse qu’on pût trouver à la perte de la malheureuse frégate fut toutefois timidement insinuée. Les cartes de cette partie de la côte d’Afrique