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osé dire, après le combat du Grand-Port : « Les Anglais sont invincibles sur mer. » On ne le pensait même plus. Voilà le nouvel esprit, la nouvelle marine dont la restauration recueillit l’héritage. Elle y ajouta les souvenirs de la grande lutte engagée en 1778, terminée en 1783, et fit de cet assemblage la glorieuse marine qu’elle transmit au gouvernement de Juillet.

La plus lourde faute que nous pourrions commettre serait de vouloir dater notre histoire d’hier. Tant de révolutions ont passé sur notre malheureux pays que la foi politique y a été nécessairement fort ébranlée. Qu’il nous reste au moins le culte de la France ! Quand je compare ma carrière à celle de mon ami Drummond, que j’ai rencontré commander, post-captain, vice-amiral, amiral, après l’avoir connu midshipman, je ne puis m’empêcher de le trouver bien heureux de n’avoir jamais en à servir qu’un seul et même gouvernement. La stabilité est vraiment une belle chose. A défaut de ce présent enviable, le ciel nous a du moins départi une humeur facile, indulgente, douce à nos adversaires. De trop fréquentes secousses ont amorti chez nous la haine du méchant. Le méchant en politique est, — personne ne l’ignore, — celui qui ne pense pas comme nous. Ce n’est pourtant pas assez d’être clément envers les vaincus, il faut aussi être juste. Il n’est pas un de ces pouvoirs si tristement éphémères, pas un de ces gouvernemens que nous avons successivement renversés dans un jour de colère ou dans un jour de folie, qui n’ait consciencieusement cherché, suivant ses lumières, la grandeur et la prospérité du pays remis, par un tour de roue de la Fortune, à sa tutelle.

Les aptitudes d’une nation ne se révèlent pas dès le premier jour. L’Angleterre n’est devenue une puissance maritime que vers la fin du XVIe siècle. Les flottes flamandes lui ont longtemps suffi pour conduire ses armées à l’invasion de la France. S’il ne lui eût fallu défendre ses rivages contre la Grande-Armada, si les richesses du Nouveau-Monde n’eussent allumé les convoitises de ses corsaires, il se serait peut-être passé bien des années encore avant que l’Angleterre songeât à se constituer une marine nationale. Notre marine, à son tour, prit naissance quand l’ennemi séculaire afficha la prétention de faire de la Manche une mer fermée, du domaine colonial un apanage anglais. La restauration reprenait l’une après l’autre les traditions de l’ancienne monarchie ; il eût été surprenant qu’elle ne tentât pas de faire revivre la marine de Louis XIV et de Louis XV, la marine surtout si brillante de Louis XVI. Elle aurait, je le crois, préféré, s’il eût fallu choisir, une grande flotte à une grande armée. Le continent ne l’inquiétait pas ; l’Angleterre lui faisait toujours ombrage. Peu d’années avant la révolution de 1830, on vit tout à