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sur la mission. — Je dis au capitaine du Marengo, qui vient aussi à bord, qu’il prendra le commandement de l’escadre pour l’entretenir à petits bords au vent. — Tout cela expédié, je fais route pour le mouillage avec le Suffren, le Trident, la Melpomène, l’Eglé et l’Endymion. L’escadre louvoie. — A cinq heures, je mouille à 1 mille de Cascaës, la citadelle me restant au nord 1/2 ouest du compas. Il y fait calme plat, tandis qu’en arrivant, nous ne pouvions qu’à peine porter les huniers à deux ris. — Mes conserves mouillent près de moi, par vingt brasses, fond de sable. — Dans la nuit, assez beau temps. Calme. — Au matin ; vent de nord-nord-ouest, qui fraîchit, à mesure que le soleil monte sur l’horizon. — A neuf heures, l’escadre est à vue. — Je l’appelle au mouillage et la fais mouiller près de moi. Mon intention est de la faire voir en entier à Lisbonne, qu’on aperçoit assez clairement à 3 lieues dans l’est-nord-est. Les capitaines viennent à bord, où je les appelle, afin de conférer avec eux sur les opérations futures. »

Le mouillage de Cascaës est une véritable trouvaille. Il va singulièrement simplifier la tâche de l’escadre. Grande brise au large, calme à terre : cela se rencontre souvent. Seulement, il faut le savoir. Voilà ce qu’on gagne à pouvoir se dire : J’ai vu. Et nous continuons à ne rien voir, à tourner imperturbablement chaque année dans le même cercle ! Heureusement, nous avons la consolante assurance de vivre, jusqu’à la fin des siècles, en paix avec tout le monde : il n’y a donc nulle urgence de modifier sur ce point nos allures. On ne dira pas d’ailleurs que l’amiral Roussin ait pris le gouvernement de don Miguel en traître. Il lui a fait constater l’habileté de ses canonniers ; il lui donne maintenant toute facilité pour apprécier la force de ses vaisseaux : si les Portugais négligent de se mettre en défense, la faute n’en sera vraiment pas à notre plénipotentiaire.

Je ne connais rien d’imposant comme l’aspect de la chambre de conseil à bord d’un vaisseau-amiral, quand des capitaines, la plupart blanchis sous le harnais, y apportent un avis appuyé de 74, de 80, de 90 canons. J’ai en ce spectacle une fois dans ma vie. Je ralliais l’amiral Lalande au mouillage d’Ourlac. Sur un signe de l’ambassade de Constantinople, l’amiral forçait l’entrée des Dardanelles. Il ne se le fit pas fait dire deux fois. En pénétrant dans la chambre de conseil où s’étaient rassemblés tous les commandans de l’escadre, il me sembla voir Nelson et ses capitaines devant Copenhague. Un vaisseau de ligne, et plus encore un vaisseau cuirassé, c’est bien autre chose, avouez-le, qu’un régiment. Et, d’abord, c’est une partie infiniment plus considérable de la fortune publique. Vous possédez, je suppose, vingt navires cuirassés : quelle importance