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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/389

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devant le fort Belem, qu’il range à 60 toises. Il le canonne. Ayant ensuite passé sous tous les forts, je mouille en face du palais neuf, vis-à-vis la Corderie. Une partie de l’escadre mouille à l’ouest de moi. Je donne ordre à l’autre de se porter sur l’escadre portugaise qui est embossée dans il est et de la combattre ou amariner. La Pallas lui tire quelques coups de canon ; l’escadre portugaise, composée d’un vaisseau, trois frégates, trois corvettes et deux bricks, répond par quelques coups et amène. — Toute l’escadre française mouille le long des quais, depuis Belem jusque devant Lisbonne. À six heures, j’envoie un parlementaire sommer le gouvernement portugais de donner satisfaction. »

Vainqueur, tenant la ville de Lisbonne, le palais du roi, sous. son canon, l’amiral Roussin avait encore peine à s’expliquer, la facilité de son succès : « N’est-ce pas, se demandait-il, un fait incroyable, qu’après avoir tiré près de 15,000 coups de canon, en défilant, pendant trois heures et demie, sous vingt forts, qu’on prétendait formidables, les pertes de l’escadre se soient bornées aux plus légers accidens ? Tout le poids du jour est tombé de l’autre côté. C’était justice. »

Les plus grands hommes de mer ne sont pas exempts de faiblesse : ils croient, en semblable occasion, à l’intervention de la Providence. « Ma chère mère, écrivait l’amiral Roussin à la pieuse et vénérable femme qui mourut presque centenaire, et pour laquelle sa tendresse filiale ne se démentit jamais, avez-vous une église où vous puissiez raisonnablement rendre sa politesse au hon Dieu ? Il nous a visiblement touchés de son doigt, et c’est bien le moins qu’on l’en remercie. Mais reçoit-il toujours à Arc-sur-Tille dans une grange ? Toutefois, grange ou église, je ne doute pas que vous ne teniez à le remercier de sa bonté pour nous ; au.besoin, je vous en prie, trop mauvais sujet que je suis peut-être pour m’en acquitter à suffisance moi-même. Le miracle est assez visible. Il ne paraîtrait pas douteux, si nous étions seulement moins vieux de cinq ou six siècles. Comment croire, en effet, naturel qu’on puisse se tenir pendant quatre heures sur une route de 3 lieues, sous plus de 200 canons, sans y laisser pieds ou ailes ? Nous n’avons pas en vingt hommes blessés et l’ennemi a été foudroyé. »

Tout n’était pas fini cependant. Si le gouvernement portugais.se réveillait ! S’il amenait de l’artillerie sur la rive, s’il élevait de ces ouvrages en terre contre lesquels la marine s’est de tout temps, avant l’invention de la mélinite, — déclarée impuissante ! S’il mettait l’escadre au défi de détruire la ville ! S’il lui rendait, par des attaques incessantes, le mouillage intenable ! C’est ici que la contenance de l’amiral me paraît plus que jamais digne de la grande