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nation qu’il représente. Tout le servira : sa mâle assurance, la superbe attitude de ses vaisseaux et jusqu’à ce ton brusquement impérieux que le vainqueur d’Austerlitz avait enseigné à ses lieutenans.

A six heures et demie du soir, le 11 juillet, le vicomte de Santarem reçoit la lettre suivante : « Monsieur le ministre, vous voyez si je tiens mes promesses. Je vous ai fait pressentir hier que je forcerais les passes du Tage. Me voici devant Lisbonne. Tous vos forts sont derrière moi et je n’ai plus en face que le palais du gouvernement. Ne provoquons point de scandale. La France, toujours généreuse, vous offre les mêmes conditions qu’avant la victoire. Je me réserve seulement, en en recueillant les fruits, d’y ajouter des indemnités pour les victimes de la guerre. J’ai l’honneur de vous demander une réponse immédiate. »

Le gouvernement de don Miguel s’inclina devant la mauvaise fortune. A dix heures du soir, le vicomte de Santarem répondait : « Excellentissime seigneur, j’ai l’honneur de déclarer à Votre Excellence que le gouvernement de Sa Majesté très fidèle, voulant éviter, par tous les moyens possibles, les désastres qui pourraient résulter des derniers événemens, adopte les bases proposées dans la dépêche de Votre Excellence du 8 courant. »

La soumission ne s’est point fait attendre : les négociations, néanmoins, menacent tout à coup de traîner en longueur. L’amiral Roussin jette de nouveau son épée dans la balance : « Monsieur le vicomte, écrit-il le 13 juillet au ministre de don Miguel, vous me poussez à bout, et j’ai l’honneur de vous prévenir que cela ne peut vous réussir… Je m’en suis rapporté à votre parole, et je ne souffrirai pas plus longtemps les conséquences de mon erreur. J’attends Votre Excellence ou la personne autorisée qu’elle désignera aujourd’hui ou demain jusqu’à midi. Je la recevrai à mon bord et non ailleurs. »

Où donc l’amiral Roussin a-t-il pris le style de ses dépêches, lui qui n’a jamais reçu de leçons que de M. Petit-Genet ? N’est-ce point sur ce ton que les empereurs romains parlaient aux Goths et aux Francs ? L’imperatoria brevitas ne s’enseigne pas dans les collèges. Ce que nous entendons, c’est la marine de 1812 ; la révolution de Juillet lui a rendu son fier accent. La révolution de Juillet, — ce sont mes souvenirs personnels qu’ici j’interroge, — fut, avant tout, une révolution bonapartiste, la revendication des vétérans de César, attendant naïvement qu’au bruit de leur triomphe le duc de Reichstadt accourût de Vienne. Tout prêts à élever l’objet d’une inébranlable idolâtrie dans leurs bras, il leur semblait revenir une seconde fois de l’Ile d’Elbe. Que peuvent la sagesse, les bienfaits d’un gouvernement, — la restauration était assurément un gouvernement