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yeux éclatant, n’avait pas coûté assez cher. Je voudrais l’habituer à mieux juger des choses maritimes. Tel est surtout le but que je me suis proposé dans ce récit.

Une armée de cent mille hommes n’aurait que difficilement obtenu ce qu’une flotte, au fond peu considérable, venait de réaliser en quelques jours : la paix scellée par des réparations, sans la moindre lacune ; le drapeau d’un gouvernement nouveau et à peine reconnu de l’Europe, affirmé sous les murs de la capitale qui se croyait Je mieux à l’abri de toute insulte. Il était juste de nommer le chef de l’expédition vice-amiral, de l’élever le 11 octobre 1832 à la pairie. Il n’eût pas fallu oublier le capitaine Maillard de Liscourt. L’amiral Roussin, demandait pour ce vaillant chef de file le grade de contre-amiral. Chez nos voisins, la récompense ne lui eût pas manqué. Les Anglais ont le sens des affaires navales ; nous avons beaucoup à progresser encore avant de l’acquérir. Le commandant Maillard de Liscourt est mort capitaine de vaisseau. Lui aussi, il porta la peine d’une déception causée par les visées les plus chimériques. Le maréchal Sébastiani avait très prudemment déclaré que l’expédition du Tage devait rester une question toute française. L’amiral Roussin s’en souvint, et voilà peut-être pourquoi sa gloire, si justement enviée par tous les marins du monde, attend encore une statue. La politique gâte tout ce qu’elle touche : elle a l’haleine fétide des harpies.

Contrariée par les calmes et par les vents du nord, la traversée de retour fut lente. Comme l’amiral Hugon, l’amiral Roussin, — n’en déplaise à mon savant confrère M. Faye, — avait foi dans les phases de la lune. Je trouve dans son journal cette mention, qui témoigne tout au moins de ses espérances : « Du 18 au 19 août. — Belle lune de treize jours. » — J’y rencontre aussi cet aveu : « Du 19 au 20 août. — Je suis assez gravement malade depuis quelques jours. » On l’eût été à moins ! Par quelles angoisses cet esprit toujours aux aguets avait passé ! Il n’y a pas que les poètes qui souffrent de leur organisation nerveuse ; les héros en sont peut-être plus cruellement encore tourmentés. Héros et poètes, au demeurant, c’est tout un. Enfin, le 1er septembre, à dix heures du matin, on aperçoit dans une éclaircie le bec du Raz. Le 2 septembre, la division, accompagnée de ses prises, mouille à Brest.

Je me trompe fort, ou ce récit, d’où j’ai écarté à dessein tout ce qui aurait pu en rompre l’unité, ne sera pas là sans fruit, par les hommes du métier, par ceux-là surtout qui peuvent avoir, un jour ou l’autre, une grande résolution à prendre. La réputation des défenses du Tage était usurpée : sans l’amiral Roussin, le préjugé subsisterait encore.


JORIEN DE LA GRAVIERE.