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bienfaisant et sage, — contre de tels transports ? On ne songeait guère à la république dans ce temps-là ! Pour la masse de la nation, la république, c’était encore la Terreur. Avec le drapeau tricolore s’éveillèrent sur-le-champ tous les souvenirs de l’empire. Faut-il s’étonner que l’amiral Roussin en retrouvât presque à son insu le langage ?

Le 14 juillet, le traité de réparation fut signé, à bord du Suffren, par le chargé de pouvoirs du gouvernement portugais, M. Antonio Kavrio d’Abreu Castello Branco. Le vicomte de Santarem le ratifia le jour même. Le 26 juillet, à quatre heures et demie du soir, la division du contre-amiral Hugon reprenait la route de Toulon ; le 14 août seulement, l’amiral Roussin, nommé vice-amiral par ordonnance du 26 juillet, reprenait, de son côté, la route de Brest. Il emmenait, avec les frégates la Sirène, la Guerrière, qui étaient venues le rejoindre, la Didon, la Pallas, le Dragon, combattans du 11 juillet, et, pour mieux attester encore sa victoire, toute l’escadre portugaise, à l’exception du vieux vaisseau le Jean VI.

Par une de ces arguties familières aux faibles, le gouvernement portugais avait essayé de contester la validité de la capture. Ses forts étaient réarmés ; l’escadre française ne comptait plus dans ses rangs qu’un seul vaisseau de ligne. L’occasion était bonne pour venger l’honneur national, pour reconquérir d’un seul coup tout l’ascendant perdu. « Les navires portugais, affirmaient les gazettes de Lisbonne, ne sortiraient pas du Tage. » À cette heure critique, reportons-nous au journal de l’amiral Roussin. Ce sera la dernière page que j’en veuille extraire : « Du 13 au 14 août. — Au jour, branle-bas de combat. — A neuf heures vingt minutes, la brise se faisant du nord-nord-ouest au nord-nord-est, nous mettons sous voiles. La Melpomène et la corvette l’Églé restent en station dans le Tage. J’ai donné mes instructions à M. de Rubaudy. — Appareillé le premier et voulant sortir le dernier, je mets en panne et signale aux autres bâtimens de forcer de voiles ; mais ils sont de beaucoup en retard. Le courant de jusant me fait sortir malgré moi. A onze heures, je suis dehors. Les forts n’ont fait aucun mouvement hostile. Les dégradations que nous leur avons causées en entrant sont réparées, malgré les assurances de M. de Santarem. »

Le triomphe ne laissait plus rien à désirer. L’amiral Roussin força deux fois l’entrée du Tage : la première fois avec une escadre, la seconde avec une division. L’Angleterre, par la bouche de lord Wellington, s’en déclara publiquement humiliée. Quel Français, en revanche, n’aurait dû sentir battre son cœur avec plus de fierté ? La France, au contraire, resta froide. Ce n’était pas une victoire qu’elle attendait ; c’était une révolution. Et puis le succès, pour être à ses