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l’enthousiasme de la seconde soirée a fait oublier la tiédeur de la première. Mozart ne sera pas jaloux. Il applaudirait lui-même, s’il revivait, un maître qu’il appellerait son disciple. Gounod a raison de tant aimer Mozart ; il sent bien que Mozart l’aurait aimé.

L’illustre auteur de Faust a voulu nous faire une fois les honneurs de son œuvre, et, comme il dirait en son langage mystique, nous donner la communion de sa main. C’était un beau spectacle, et qui n’avait rien que d’auguste et de touchant. Nulle affectation, nulle réclame. Le maître avait dignement refusé toute apothéose ; il a été simple et modeste. Une émotion délicieuse a dû le pénétrer quand il a levé son bâton d’ivoire, quand il a vu renaître à son appel son glorieux chef-d’œuvre, quand il a entendu revenir à lui du fond du passé et flotter autour de sa tête blanchie les mélodies fidèles, filles de sa jeunesse et de son génie. Il a dû ressentir une seconde fois la joie de créer, et la ressentir dans toute sa plénitude et toute sa pureté, sans la fatigue de l’effort et sans l’angoisse du doute.

Qu’on ne s’y trompe pas : on a acclamé l’autre soir un grand homme et une grande œuvre. Nous avons, hélas ! à nous reprocher, depuis Berlioz, depuis Bizet, assez d’erreurs, assez de dénis de gloire, pour avoir le droit, le devoir même, de dire la vérité, fût-ce à un vivant, et de ne lui marchander ni l’admiration ni la reconnaissance. Faust, voyez-vous, n’est pas seulement l’opéra par excellence de notre pays, mais l’opéra de notre pays, mais l’opéra de notre époque. Aujourd’hui, toute la musique française, ou presque toute, est née de celle-là. Gounod a été une source, et longtemps encore nous boirons à ses ondes. Voilà la musique de notre génération, de notre jeunesse, et, comme dit le marquis de Posa, il faut toujours aimer les rêves de sa jeunesse. Quels rêves nous a fait rêver Gounod, l’incomparable musicien d’amour !

L’amour domine l’œuvre entier de Gounod, et Faust, son chef-d’œuvre ; l’amour compris comme il ne l’avait pas été encore. Mozart même n’avait pas trouvé de ces accens. Les pages galantes de Don Juan : le duo avec Zerline et la sérénade ; les deux airs de Chérubin et celui de Suzanne dans les Noces de Figaro ; le duo de la Flûte enchantée, en dépit d’une forme plus belle sans doute, nous touchent et surtout nous troublent moins que l’acte du jardin. Le duo de Raoul et de Valentine est plus sublime, et moins délicieux que celui de Faust et de Marguerite ; le duo de Lohengrin est plus mystique ; il est moins humain. Ah ! l’acte du jardin, qu’à l’origine on parla, dit-on, de supprimer comme faisant longueur ! Là surtout s’est révélé naguère un artiste original, une inspiration inconnue. Faust est une œuvre variée ; on y rencontre autant de grandeur et de puissance que de tendresse et de grâce, mais l’acte du jardin demeure la merveille des merveilles.