depuis un mois toutes les polémiques, restent isolés, réduits à de médiocres proportions ; ils ne mériteraient pas surtout de provoquer tant de bruit, de passionner tout un pays, de devenir peut-être la cause d’une redoutable crise publique. En réalité, ce qu’il y a de plus grave dans ces misérables incidens, c’est l’explosion d’anarchie dont ils ont été l’occasion ou le prétexte, c’est cette situation altérée, épuisée, qu’ils ont mise à nu, où il semble que toutes les idées de justice régulière et de gouvernement aient disparu, où tous les pouvoirs éperdus et troublés se heurtent dans une vaste confusion. Ce qu’il y a, en un mot, de plus sérieux, de plus inquiétant dans ces faits, c’est moins ce qu’ils sont par eux-mêmes que ce qui se passe autour d’eux.
S’il est, en effet, un phénomène saisissant et tristement significatif, c’est cette sorte de surprise effarée qui s’est manifestée depuis quelques semaines, qui se traduit par une incohérence universelle. La vérité est que rien n’est à sa place, que le sentiment des plus simples conditions d’un régime régulier semble émoussé et obscurci partout, dans les administrations comme dans l’état, dans le gouvernement comme dans les partis. La chambre, bien entendu, a donné l’exemple de toutes les confusions ; elle a voulu faire sentir son autorité par une enquête parlementaire. Elle avait certainement le droit d’ouvrir une enquête ; elle en a abusé par une sorte d’outrecuidance parlementaire. On a eu beau lui dire qu’elle s’engageait dans une voie sans issue, elle n’a rien écouté : elle voulait avoir son enquête, elle l’a décidée, — et, par une subtilité de parti, elle a voulu donner à cette enquête une couleur républicaine en l’étendant non plus seulement aux faits du moment, mais à tout, — en se donnant la mission de « faire respecter l’administration de la république, » de prendre au besoin à partie « ceux qui auraient porté atteinte à l’honneur et à la considération de cette administration. » La chambre a voté ce qu’elle a voulu : que peut-elle faire ? Quelle est la sanction de ses décisions ? Où a-t-elle pris le droit de menacer ceux qui auraient, selon elle, porté atteinte à la considération républicaine ? Elle n’a pas vu qu’elle se mettait dans l’alternative de poursuivre l’œuvre la plus vaine ou de s’ériger en pouvoir omnipotent, étendant sa juridiction sur l’administration tout entière, sur toutes les administrations, — et même sur de simples citoyens. Ce n’est pas tout. Le jour où s’est produit cet étrange incident des lettres substituées, la chambre encore une fois n’a pu contenir son impatience ; elle a obligé, séance tenante, le ministère à suspendre un procès, à interrompre l’œuvre d’un tribunal. Vainement on lui a fait remarquer qu’elle se substituait à la justice, qu’elle confondait tout : elle ne s’est point arrêtée, et voilà aujourd’hui deux enquêtes ouvertes, l’une au Palais-Bourbon, l’autre au Palais de Justice. La commission parlementaire mande et interroge M. le préfet de police et ses agens. Le juge d’instruction mande et interroge, de son côté, les mêmes agens sur les mêmes faits, —