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en aide, non aux embarras supposés du roi de Prusse, mais à son avidité insatiable. Quant à Tencin, les succès inespérés de son royal client écossais ; l’avaient littéralement enivré. Voyant déjà un prince catholique sur le trône de la Grande-Bretagne, il se souvenait, pour la première fois peut-être de sa vie, qu’il était cardinal, et demandait si c’était le moment de courir après une alliance protestante qui donnait tant d’embarras et rapportait si peu de profit. Que pourrait-on souhaiter de plus que l’avènement d’un souverain ami à Londres et une paix glorieuse avec l’Autriche ? Le seul argent utilement dépensé était donc celui qui allait servir à assurer le succès de Charles-Edouard par l’envoi d’un corps de débarquement. Maurepas et Noailles, peut-être moins animés, faisaient écho dans ce même sens. C’était à chaque séance du conseil un de ces débats si bruyans que (suivant une expression de d’Argenson que j’ai déjà rapportée) on n’aurait pas entendu Dieu tonner. Quant au roi, il laissait parler et crier, flottent entre sa déplaisance pour le nouvel empereur et le ressentiment qu’il éprouvait des procédés blessans et des moqueries de Frédéric. N’avait-on pas en soin de lui faire savoir que cet incorrigible railleur plaisantait tout haut de l’empressement que le vainqueur de Fontenoy avait mis à quitter son armée pour venir porter ses lauriers aux pieds de la marquise de Pompadour[1] ?

En sortant de ces séances orageuses, d’Argenson, forcé de se conformer aux vœux de la majorité, devait se faire l’exécuteur du plan de conduite qu’il venait de combattre, mais il s’acquittait de cette tâche ingrate avec une mauvaise grâce qu’il ne prenait plus la peine de cacher. On eût dit, en vérité, qu’il n’épargnait rien pour intimider et décourager son propre agent. Avant tout, disaient les instructions ministérielles, il faut être constamment sur vos gardes et bien vous assurer que les avances qu’on vous fait ne couvrent pas un piège pour alarmer l’Angleterre et obtenir d’elle des modifications avantageuses à la convention de Hanovre. En ce cas, ajoutait d’Argenson (faisant reparaître discrètement son idée favorite), il y aurait une manière de se tirer d’affaire sans tout briser : ce serait de proposer la convocation d’un congrès général. A d’autres momens, il semblait prendre plaisir à transmettre les résolutions du conseil sous une forme compliquée qui les rendait à peu près inapplicables, et il faut dire qu’il n’avait pas beaucoup de peine à y réussir, car le concert était loin d’être parfait, même entre

  1. Chambrier à Frédéric, 19 et 26 novembre 1745. — (Ministère des affaires étrangères). — Droysen, t. II, p. 615. — D’Argenson à Chavigny, 17 novembre et 5 décembre 1745. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)