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les partisans de la négociation autrichienne. D’accord sur le but, ils différaient sur la voie à suivre pour l’atteindre. Plusieurs se méfiant, non sans raison, du désintéressement et de la loyauté du comte de Brühl, auraient voulu que Vaulgrenant se ménageât, à l’insu du ministre saxon, quelques entretiens directs et en tête-à-tête avec le plénipotentiaire autrichien. D’autres, craignant de déplaire à Philippe y et surtout à l’ardente Farnèse, désiraient que le comte de Bêne, ministre d’Espagne à Munich, fût admis en tiers dans les pourparlers, sans pourtant qu’il fût trop encouragé à mettre en avant des exigences exagérées. D’Argenson faisait passer à Vaulgrenant ces recommandations diverses, sans se mettre en peine de les concilier. — « De la sorte, dit-il dans une note écrite de sa main, il y aura trois négociations : la première vraie avec l’Autriche en particulier ; la deuxième fausse en participation avec Brühl ; la troisième illusoire et complètement fausse avec Brühl et Bêne. Je conviens que ce sera fort difficile : M. de Vaulgrenant s’en tirera comme il pourra ; mais tel est le système du conseil et les embarras où ceci nous jette : de gros risques pour peu d’espérance. » — Enfin, comme s’il eût juré de faire perdre l’esprit à son correspondant, il ne manquait jamais de lui rappeler, en terminant toutes ses lettres, qu’à aucun prix le roi ne voulait rien faire qui tendit à dépouiller le roi de Prusse d’aucune de ses possessions. « Plus la reine de Hongrie, répétait-il, témoigne de vouloir s’attacher, préférablement à toutes choses, à recouvrer une province aussi riche et aussi à sa convenance que la Silésie, plus nous devons avoir à cœur que la Prusse la conserve. »

Cette reprise de la Silésie étant le but unique que poursuivait Marie-Thérèse en se rapprochant de la France, recommandera Vaulgrenant de n’y pas concourir, au moins indirectement, c’était lui enjoindre de conclure un contrat annulé d’avance, comme disent les juristes, pour défaut de cause. Dans ces conditions, il était superflu d’ajouter, comme d’Argenson le fit pourtant une fois en termes exprès, que la négociation était entreprise plutôt pour n’avoir rien à se reprocher que dans l’espoir de la conduire à bonne fin. L’aveu était inutile : la chose se comprenait de reste[1]. »

Comment Vaulgrenant s’y serait-il pris pour passer entre tant d’écueils et ménager tant de points délicats ? C’est ce qu’il est difficile de dire, car le jour où le comte d’Harrach était enfin décidément

  1. D’Argenson à Vaulgrenant, 13 et 20 novembre, 1er décembre 1745. (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.) — Il y eut bien, dans le cours de la négociation, quelques insinuations faites par l’agent saxon pour décider la France à prêter son concours armé à l’Autriche contre la Prusse ; mais, sur le refus très net de Vaulgrenant, on n’Insista pas.