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Vaulgrenant, réservé, inquiet, regardant à toutes ses paroles, semblait n’avoir d’autre souci que de ne pas dépasser d’une ligne ni d’un mot la lettre de ses instructions, pour n’encourir, en aucun cas, de l’autorité indécise et partagée dont il dépendait, ni désaveu ni reproche. La France reproduisait les mêmes exigences qu’à Francfort, mais Marie-Thérèse s’était beaucoup relâchée de la rigueur de ses premiers refus. En Flandre, elle cédait Ypres, Furne et Beaumont, ne résistait plus que pour garder Tournay et Nieuport. En Italie, elle accordait à l’infant d’Espagne Parme, Plaisance, Pavie même au besoin ; mais d’Alexandrie et de Tortone, possessions du roi de Sardaigne, que réclamait également la France en faveur de son client espagnol, elle ne voulait pas qu’il fût question. La distinction était naturelle. En Lombardie et dans le Parmesan, c’étaient des droits personnels ou des revendications à elle propres, auxquels elle renonçait ; mais en Piémont, rien ne lui appartenait : elle croyait ne pas pouvoir sans déshonneur faire des concessions aux dépens d’un allié qu’elle n’avait ni prévenu ni consulté. Aussi, dans le cours de la conversation, fut-il évident (Vaulgrenant en convient) que l’ultimatum était moins net, moins positif en ce qui touchait la Flandre qu’en ce qui regardait l’Italie. Vaulgrenant, au contraire, fut intraitable sur le moindre comme sur le plus important des articles. Il était autorisé sur certains points à faire de légères concessions : il ne les proposa pas et ne les laissa, il le dit lui-même, entrevoir que faiblement. A l’aube du jour, on se sépara sans avoir pu rien conclure[1].

Ainsi, on a tout ensemble la surprise et le regret de le constater, la France pouvait, ce jour-là, assurer à la fois l’extension et la sécurité de sa frontière ; non-seulement cet avantage lui était offert, mais on lui tenait en quelque sorte la main pour la forcer d’y souscrire. Elle renonça (non sans quelque effort pour se dérober à ces instances) au prix si noblement acheté par les victoires de Maurice de Saxe, uniquement afin de réserver à un infant d’Espagne la chance plus que douteuse d’acquérir la possession de deux citadelles qui n’avaient jamais relevé de la couronne des rois catholiques et qui, en définitive, ne devaient jamais lui revenir. Le fait, en lui-même assez étrange, paraît encore plus incroyable quand on songe que le ministre qui imposait cette abnégation à son envoyé, non-seulement ne professait aucune prédilection pour l’alliance

  1. Vaulgrenant à d’Argenson, 16 décembre 1745. (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.) — Quant à la Flandre, est-il dit dans cette dépêche, il a offert Ypres et Furnes avec l’indépendance de l’abbaye de Saint-Hubert, et a joint de lui-même Beaumont et Chimay.