discerner. D’abord, personne n’était surpris : une première épreuve avait préparé à la récidive ; les plus naïfs avaient cessé de croire à la fidélité prussienne. Le traité de Hanovre était ébruité, commenté depuis trois mois par tous les gazettes d’Europe ; l’effet, pour parler le mauvais langage de nos jours, en était escompté d’avance. Puis le mal était moins grand cette fois, et le danger surtout bien moins urgent. Nul rapport entre la situation de Maurice de Saxe, campé victorieusement devant Bruxelles, et celle de Broglie et de Belle-Isle enfermés, presque affamés, dans Prague. L’hiver commençait à peine ; on avait donc le temps de réfléchir : ce n’était que matière à spéculation, sur laquelle les politiques et les nouvellistes pouvaient raisonner à l’aise, chacun suivant sa propension naturelle.
Celle de d’Argenson nous est connue, et il ne paraît pas que la disposition optimiste avec laquelle il accueillait tout ce qui parlait de Berlin ait ressenti à ce moment critique même un jour d’ébranlement. D’abord, il voulut douter jusqu’à la dernière heure de la soumission de l’Autriche ; il la voyait déjà continuant la lutte sans alliés, dans des conditions qui l’auraient mise bientôt à deux doigts de sa ruine. Ce serait alors, pensait-il, le moment de reprendre avec avantage la négociation prématurément entamée par le comte d’Harrach : la paix acceptée par la Saxe n’aurait été ainsi qu’un pas fait vers une pacification générale. Puis, quand il n’y eut plus moyen d’ignorer à quel prix Marie-Thérèse avait acheté son repos en Allemagne, d’Argenson n’eut pas seulement (ce qui eût été fort sage) le bon sens de ne pas témoigner un dépit inutile et de ne pas se répandre en récriminations amères, qui n’auraient abouti, en irritant un vainqueur, qu’à faire à la France un ennemi de plus. Cette note de modération, commandée par la dignité et par la prudence, fut vite dépassée. Revenant avec une sorte d’entraînement à ses idées favorites, d’Argenson se prit à considérer qu’après tout, la Silésie restant acquise à la Prusse, le but principal de la guerre, l’affaiblissement de l’Autriche, était atteint, et qu’il s’agissait seulement de garder à tout prix ce résultat important. D’où il conclut que, pour prévenir une revanche et un retour offensif toujours possibles de l’Autriche, l’intérêt de la Prusse lui commanderait de continuer à s’appuyer sur la France, et afin de faire mieux sentir à Frédéric cette communauté d’intérêt et de le déterminer à se conduire en conséquence, il ne vit rien de mieux, au lieu de s’éloigner de lui avec froideur, que de l’attacher, au contraire, et de l’enlacer, pour ainsi dire, par de nouveaux liens d’amitié et de reconnaissance. Ce calcul, qu’il n’a pas déguisé dans ses Mémoires ni dans sa correspondance, et dont quelques-uns de ses historiens lui