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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/533

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ont fait honneur, fut visible dès son premier entretien avec le ministre de Prusse Chambrier. Sans cette explication, — je dirais volontiers sans cette excuse, — le langage qu’il tint dans cette conversation (qui dut avoir lieu le jour même où arrivait à Versailles la lettre insolente de Frédéric) serait vraiment inexplicable de la part d’un ministre de Louis XV.

Voici comment Chambrier lui-même rend compte de sa conférence : — « Le marquis d’Argenson m’a parlé de la manière suivante sur l’accroissement de Votre Majesté. Il m’a dit : — « Vous savez, monsieur, comme je pense sur les liaisons du roi votre maître avec le mien, et qu’en vérité personne n’est plus zélé que moi pour la continuation et le resserrement, s’il est possible, de l’amitié la plus étroite entre ces deux princes, parce que ce sont leurs intérêts ; mais je vous avouerai cependant que j’aurais désiré, pour la gloire du roi de Prusse et l’avantage du roi mon maître, que la paix du roi de Prusse avec la reine de Hongrie ne se fût pas faite, ou que, si elle s’était faite, ce fût conjointement avec la France, rien n’étant plus aisé au roi de Prusse, quand il a vu que la Saxe était à ses pieds et que la reine de Hongrie souhaitait de s’accommoder avec lui, que de dire à cette princesse qu’il voulait bien faire la paix avec elle, pourvu qu’elle fût commune à la France et à ses alliés. De cette manière, le roi de Prusse faisait le coup le plus glorieux qu’il pût jamais faire, et ses liaisons avec nous n’auraient pas reçu la plus légère atteinte, au lieu que, de cette manière (sic), nous restons dans l’embarras. Il faudra bien tâcher de nous en tirer ; nous y ferons de notre mieux, en recourant aux moyens qui sont dans l’état, quoique épuisé, je l’avoue, pour soutenir une guerre qui pouvait finir tout d’un coup, si le roi de Prusse avait bien voulu un peu se souvenir de nous. » — Suivent certains détails d’un caractère confidentiel et tout à fait intime sur les mesures que la France allait prendre pour faire face à la situation nouvelle où la laissait son isolement ; puis, Chambrier reprend : « — Enfin, le marquis d’Argenson m’a dit qu’il était si convaincu de la nécessité qu’il y avait pour le bien des intérêts réciproques que Votre Majesté et le roi son maître fussent étroitement unis, qu’il était, lui, d’Argenson, du sentiment que Votre Majesté fût le centre politique de tous les intérêts de la France dans le nord et dans l’empire, et qu’il ordonnerait, de la part du roi son maître à tous les ministres de France qui sont en Allemagne et dans le nord de ne se conduire que suivant les intérêts de Votre Majesté et conformément à ce que Votre Majesté ferait insinuer par ses ministres aux ministres de France ; qu’il croyait que Votre Majesté connaissait trop ses véritables intérêts pour ne pas conserver de son côté la confiance et l’ouverture de cœur qui conviennent aux mêmes intérêts. »