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Le système d’éducation ne changea pas pour l’enfant ; les anciennes études de grammaire et de musique, les exercices militaires et gymnastiques continuèrent ; mais le jeune homme se trouva enveloppé d’un autre esprit. On a souvent montré le goût d’Athènes pour les arts ; il faut parler de l’art démocratique par excellence, la rhétorique. De celle-ci naquirent deux classes d’hommes, les rhéteurs et les sophistes, qui regardèrent le talent de discourir comme étant à lui-même son moyen et sa fin. Aussi leur unique souci était-il de rendre leurs élèves des parleurs redoutables, tandis que les anciens maîtres ne cherchaient qu’à faire des citoyens et des soldats. Autrefois, on apprenait à agir ; maintenant, on apprend à parler.

C’était une conséquence inévitable du développement des mœurs et des institutions démocratiques. Périclès lui-même n’avait pas dédaigné les entretiens de Protagoras. En de petites cités où tout se fait par la parole, l’éloquence est à la fois une épée et un bouclier ; avec elle on se défend et on attaque ; avec elle on gagne une charge ou un procès, la faveur du public ou l’indulgence des juges. A Athènes, chaque jour un citoyen risquait d’être accusé ou accusateur, et il fallait plaider soi-même. Une accusation bien soutenue mettait en lumière ; un échec avait le double inconvénient d’une défaite et d’une perte sérieuse, car l’accusateur qui ne prouvait pas son dire ou n’obtenait pas, au moins, le cinquième des suffrages, payait une amende de mille drachmes. Savoir parler était donc une nécessité. Pour arriver à la notoriété publique et à la puissance, l’Agora était la route la plus sûre ; comme moyen de parvenir, les exploits militaires ne venaient qu’après les discours. Cet art de bien dire, même sans bien penser, celui de revêtir une opinion fausse des apparences de la vérité et d’éblouir le vulgaire par l’éclat des mots, ce talent de l’avocat qui, au besoin, plaide, avec une conviction momentanée, une cause qu’il sait mauvaise, était fort recherché des jeunes Athéniens, moins curieux à présent de comprendre et de chanter les hymnes des vieux poètes que d’acquérir ce que le Gorgias de Platon appelle le plus grand des biens, à savoir le talent de persuader par sa parole les juges dans les tribunaux, les sénateurs dans le conseil, le peuple dans les assemblées. Aussi accouraient-ils en foule auprès des marchands d’argumens et de subtilités, et payaient-ils à prix d’or leurs leçons. Hippias d’Élis se vantait d’avoir, en Sicile, gagné par ses leçons, dans le court espace de quinze jours, plus de 150 mines, malgré la concurrence de Protagoras, alors au comble de la célébrité. Les sages avaient jadis semé les paroles de sagesse, mais ils ne les vendaient pas ; et Socrate, Platon, s’indignaient de ces marchés que nos sociétés