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opposé, au même point que Protagoras, c’est-à-dire à la négation de toute certitude.

Ainsi, rien n’est vrai, mais tout est vraisemblable ; du moins à force d’art on peut donner à tout les apparences de la vérité. Donc, il n’y avait pas de thèse qui ne se pût défendre. Si de telles, doctrines, bouleversement de la raison humaine, ruinaient la vertu, le patriotisme, la religion, elles n’en étaient pas moins, dans les bouches habiles qui les présentaient, fort séduisantes. Elles plaisaient à des esprits amoureux des subtilités ingénieuses et elles étaient utiles au défenseur de toute cause mauvaise. Aussi, chez ce peuple disputeur, eurent-elles de nombreux adeptes qui trouvèrent dans ce métier le moyen de briller et de s’enrichir. C’était à qui de ces prestidigitateurs surpasserait l’autre par l’étrangeté de ses thèses, par la subtilité de ses argumens, par la souplesse et l’éclat de sa parole, par son habileté à traiter sur-le-champ et successivement le oui et le non, le pour et le contre. Dans les écoles, dans les fêtes, dans les jeux publics d’Olympie, partout où beaucoup d’hommes se trouvaient réunis, on voyait aussitôt paraître un sophiste qui, se faisant donner un sujet quelconque, le traitait, quelque frivole ou paradoxal qu’il fût, aux applaudissemens des auditeurs, et ne s’avouait jamais vaincu. « Ces gens-là, dira Platon, on a beau les terrasser, ils se relèvent toujours : l’Hydre de Lerne était un sophiste. »

Mais il ne faut pas faire de la sophistique un attribut particulier de la démocratie. Critias, qui fut un des trente tyrans et un des plus abominables, ne voyait dans les institutions religieuses et dans la croyance aux dieux que l’effet d’une ruse habile. « Il fut un temps, disait-il, où la vie humaine était sans loi, semblable à celle des bêtes et esclave de la violence. Il n’y avait pas alors d’honneur pour les bons, et les supplices n’effrayaient pas encore les méchans. Puis les hommes fondèrent les lois, pour que la justice fût reine et l’injure asservie ; et le châtiment suivit alors le crime. Mais comme les hommes commettaient en secret les violences que la loi réprimait, lorsqu’elles osaient s’exercer à découvert, il se rencontra, je pense, un homme adroit et sage qui, pour imprimer la terreur aux mortels pervers, lorsqu’ils se porteraient à faire, à dire, ou même à penser quelque chose de mauvais, imagina la divinité. Il y a un dieu, dit-il, florissant d’une vie immortelle, qui sait, qui entend, qui voit par la pensée toutes choses, et dont l’attention est toujours éveillée sur la nature mortelle. Il entend tout ce qui se dit parmi les hommes ; il voit tout ce qui s’y fait. Si vous machinez quelque forfait en silence, il n’échappera point aux regards des dieux. A force de répéter de pareils discours, ce sage