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peu myope ; le teint fort brun, les cheveux crépus et très noirs, mais qui devaient blanchir de bonne heure. A la cour de Louis XVI, il parut un puritain ; s’il avait vécu plus avant en notre siècle, on n’eût pas manqué de le classer parmi les doctrinaires. Malgré ses origines méridionales, sa naissance bordelaise, son teint brun, son titre gascon de Fronsac, c’était presque un homme du Nord par son tempérament moral. Il aimait les Allemands, constate encore Langeron : « L’estimable bonhomie de leur société et leur ton sententieux et froid convenaient à son esprit. » S’il tenait, par quelque côté, à la brillante jeunesse, à la gentilhommerie de son temps, c’était par la passion des armes ; mais dans son courage même il semble qu’il soit entré moins de fougue que de froide intrépidité.

L’oisiveté de la vie de cour et de garnison lui pesait : à peine ce « petit duc, » encore comte de Chinon, avait-il retrouvé sa jeune épousée, qu’il songeait déjà à quitter Paris. En 1787, — il avait alors vingt et un ans, — à la nouvelle de la déclaration de guerre entre les Turcs et les Russes, il demanda au roi la permission de prendre du service en Russie. Le genius qui devait gouverner toute sa carrière le hantait déjà. Cette démarche contrariait-elle les vues politiques du cabinet de Versailles ? ou le roi fut-il choqué de voir qu’un jeune homme, qui, par grâce insigne, avait obtenu la charge de premier gentilhomme de la chambre, ne parût pas estimer à son prix une si haute valeur ? Tout ce que nous savons, c’est qu’on refusa la permission demandée. Richelieu resta donc en France, et la révolution naissante l’y trouva. La duchesse nous dit que, tout au commencement de cette crise, il était de ceux qui désiraient la réforme des abus, qu’il eut « ce rêve des belles âmes, le bonheur du peuple, » mais que ces sentimens n’altérèrent point son amour pour son roi. Aux journées d’octobre, il accourut de Paris à Versailles, à pied, par un chemin détourné, afin d’avertir le roi de l’arrivée des bandes parisiennes. Il lui donna le conseil de se mettre à la tête de ses gardes, d’évacuer le château et de se porter en arrière, en lieu sûr. Louis XVI, ici encore, n’osa prendre la décision hardie qui eût pu le sauver. On ne voit pas que Richelieu ait pu rendre d’autres services à une cause désormais perdue. La révolution paraît lui avoir rendu la liberté qui lui avait été refusée par le roi en 1787 ; il put voyager en Allemagne, séjourner à Francfort, puis à Vienne. Tout cela le rapprochait de la Russie, l’acheminait vers sa destinée.

Dans ses impressions de voyage en Allemagne, on trouve de nombreuses observations sur l’agriculture, l’industrie, le commerce, les routes, la population, les réformes de Joseph II, un sentiment très vif des beautés de la nature, et aussi de piquantes remarques sur les princes et principicules de l’empire. Il y a là toute une