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et de Closterseven ; le quatrième, le duc Joseph, père de notre héros. Celui-ci a porté successivement trois titres : il fut d’abord comte de Chinon ; puis, en 1788, à la mort du maréchal, duc de Fronsac ; enfin, en 1791, à la mort de son père, duc de Richelieu. A quatorze ans, on lui avait fait épouser Rosalie de Rochechouart ; mais, aussitôt après la cérémonie, on l’avait fait partir avec son précepteur, l’abbé Labdan, pour un voyage qui ne dura pas moins de quatre ans (1780-1784), et pendant lequel il visita l’Italie, la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas. Cette alliance si précoce, réduite d’abord à une simple formalité, était un de ces mariages de convenance, si fréquens dans la société du XVIIIe siècle, où les deux familles voyaient surtout l’union de deux fortunes et de deux blasons. Richelieu et sa femme, qui semblent avoir eu l’un pour l’autre surtout de l’estime, du respect, de l’amitié, ont passé ensemble bien peu de jours : la duchesse se trouva séparée du duc d’abord par les campagnes contre les Turcs, puis par la révolution et l’émigration, enfin par les quatorze années que Richelieu consacra à l’administration de la Nouvelle-Russie. Elle lui survécut, et, en 1824, à la prière de M. Lainé, rédigea une Notice sur l’illustre défunt.

Richelieu, de retour à Paris, reçut une charge à la cour et le grade de sous-lieutenant dans un régiment de dragons. Il eût pu mener la vie frivole des jeunes courtisans, mais il ne leur ressemblait guère ; surtout, il ne tenait en rien de son aïeul, le galant maréchal. « Né avec un esprit plus solide que brillant, nous dit le comte de Langeron, peu fait pour la frivolité de la société de son temps, il y portait une réserve, disons même un embarras et quelquefois un air de pédanterie dont les causes étaient trop respectables pour qu’on osât en plaisanter ; sa vertu en imposait même aux jeunes gens de son âge, qui l’estimaient, en s’éloignant de lui ; il n’était pas à leur hauteur et se trouvait déplacé avec eux ; il était timide et embarrassé avec les femmes… » Il avait fait de bonnes études classiques ; il avait voyagé, et ses notes de voyage montrent avec quel esprit d’observation et quel sérieux. Tandis que les Français de son temps affectaient volontiers de ne savoir que leur langue, il surprenait agréablement les étrangers par la facilité avec laquelle il parlait l’allemand, l’anglais ou l’italien et, plus tard, le russe. Des idées à la mode, il ne s’était assimilé que les plus pratiques ; il était plutôt de l’école des physiocrates que de celle des philosophes, et la nouvelle économie politique lui était familière.

Tout le monde était frappé de sa ressemblance physique avec son grand-père, dont il différait si fort au moral : « il était d’une taille élevée et élancée, fort maigre, un peu voûté ; » d’une figure charmante, en ses années de jeunesse, et qui resta agréable jusqu’à la fin de sa vie ; avec « deux grands yeux noirs pleins de feu ; » un