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sur la Mer-Noire, mais il trouva convenable de l’ajourner. Il écrivait, non sans amertume, à Sicard : « Aujourd’hui, on ne manquerait pas de dire que je vais vendre à la Russie les secrets de la France, comme on m’accusait de lui vendre ses intérêts ; car il faut que vous sachiez que, pendant que chez vous on nous reproche d’être trop Anglais, ici j’ai été accusé, par ceux qui se sont faits mes ennemis, de trahir la France pour la Russie. »

Il ne revit pas Odessa. Quoiqu’il n’eût que cinquante-six ans, les fatigues et les émotions l’avaient épuisé. Peu de mois après sa retraite, en juin 1822, la marquise de Montcalm annonçait à Alexandre la mort de son frère. Elle n’avait pas tort de lui écrire : « C’est à Votre Majesté qu’il a dû les seules années heureuses de sa vie. » Richelieu fut pleuré en Russie comme en France. Tandis que le cardinal de Bausset prononçait son éloge à la chambre des pairs et que Dacier et Villemain préparaient ceux qu’ils devaient prononcer aux académies, Alexandre Ier exprimait en ces termes le jugement qui restera celui de la postérité dans les deux pays : « Je pleure le duc de Richelieu, disait-il à notre ambassadeur, comme le seul ami qui m’ait fait entendre la vérité. C’était le modèle de l’honneur et de la loyauté. Les services qu’il m’a rendus éternisent en Russie la reconnaissance de tout ce qu’il y a d’honnête. Je le regrette pour le roi, qui ne trouvera dans aucun autre un dévoûment aussi désintéressé. Je le regrette pour la France, où il fut mal apprécié, et à laquelle cependant il a rendu et devait rendre encore de si grands services. »

En Russie, son nom devait rester inséparable de celui de la Nouvelle-Russie, comme le nom de Pierre-le-Grand de celui de la Russie baltique, comme le nom de Catherine II de la Russie Blanche, comme le nom d’Ivan-le-Terrible de la Russie du Volga. Bien qu’il eût opéré ses conquêtes non sur l’ennemi, mais sur le désert, il mérite de prendre place parmi ceux qui ont fait la grandeur de l’empire. Sur les huit universités de la monarchie, deux font remonter à lui leurs origines, Odessa et Kharkof. Ce Français a été un des grands hommes d’état de la Russie. Ce n’est pas sans raison que la reconnaissance des peuples a élevé la statue de Richelieu sur les quais d’Odessa, entre les solitudes qu’il a animées, la mer qu’il a couverte de vaisseaux marchands, les ports, les docks, les théâtres, les palais, les églises, les établissemens d’instruction qu’il a fondés.

En France, il tint, après vingt-quatre ans, la promesse qu’il avait faite en 1791 à l’assemblée nationale, de faire profiter la patrie des mérites qu’il aurait acquis au service étranger : il empêcha le démembrement du pays.

Parmi les souvenirs ou les spectacles de la Terreur jacobine, du despotisme impérial, de la sanglante réaction de 1815, entre les