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partis acharnés l’un contre l’autre jusqu’à la destruction de fa patrie, sous le poids de l’occupation étrangère, des contributions écrasantes, de la famine, il a réussi à faire naître un régime régulier, normal, pacifique. Il réalisa la prédiction de Catherine sur le rôle qu’il devait jouer dans le rétablissement de la monarchie, et il y fut grandement aidé par le petit-fils de Catherine ; mais ce ne fut point, comme l’impératrice l’avait en vue, la vieille monarchie avec les vieux abus qu’il rétablit.

Il a enseigné à la restauration comment il fallait s’y prendre pour vivre ; il a su faire à l’intérêt français le sacrifice même de ses préjugés, lui qui n’était point d’abord un libéral ; c’est, au contraire, par un retour à l’esprit de parti et sous la direction de sectaires-étroits qu’après lui la restauration a été ruinée. Les fautes de ses successeurs ne peuvent ôter à Richelieu l’honneur d’avoir été un des fondateurs en France de la liberté politique et du régime parlementaire.

Enfin, dans les relations entre les deux pays, il fut le partisan convaincu d’une entente cordiale entre la France et la Russie, idée qui a déjà pour elle la consécration du temps, car ses premiers champions furent en Russie Pierre-le-Grand, et en France l’historien Saint-Simon ; idée qui a donné à plusieurs reprises de féconds résultats pour la grandeur de notre pays et l’indépendance de l’Europe. Au temps de Louis XV et d’Elisabeth, c’est cette entente qui brisa l’essor de la Prusse ; au temps de Louis XVI et de Catherine II, c’est elle qui maintint l’indépendance de la Bavière contre les convoitises autrichiennes et la liberté des mers contre la tyrannie britannique ; au temps de Bonaparte et de Paul Ier, de Napoléon et d’Alexandre Ier, elle faillit changer les destinées du monde ; au temps de Charles X et de Nicolas, elle assura la renaissance de la Grèce ; au temps de Napoléon III et d’Alexandre II, elle prépara l’émancipation des nations chrétiennes de l’Orient, et, aujourd’hui, comme au temps du duc de Richelieu, elle apparaît comme une garantie de l’équilibre européen.

Grâce à la publication de M. Alexandre Polovtsof, on aperçoit mieux l’unité qui domine toute la carrière de Richelieu comme gouverneur de la Nouvelle-Russie ou comme président des ministres de Louis XVIII. C’est une grande page à la fois de l’histoire de France et de l’histoire de Russie qui se trouve ainsi reconstituée et dont les lettres françaises doivent être reconnaissantes aux travaux de la Société impériale de Saint-Pétersbourg.


ALFRED RAMBAUD.