En dehors de ces cas, qui sont exceptionnels, l’honneur privé, quelle qu’en soit la valeur en lui-même et dans son origine, doit être à l’abri de toute atteinte. On a pu railler ce qu’il y a d’excessif dans la maxime que « la vie privée doit être murée. » La vie privée est, en même temps, la vie de société. Elle est largement ouverte à toutes les relations, non-seulement d’amitié, mais de convenance. Les plus solitaires ne pourront tellement s’emmurer qu’ils échappent à tout regard indiscret et à toute révélation maligne. Les curiosités et les médisances du monde peuvent être, au point de vue de la morale, plus ou moins innocentes ou plus ou moins blâmables : elles violent le droit quand elles tendent à détruire, par une révélation publique, en dehors des exceptions qui pourraient autoriser une telle révélation, une considération justement ou même injustement acquise, et, dans ce cas, toutes les preuves qu’elles pourraient offrir de leur véracité ne les rendraient pas plus légitimes.
La considération personnelle doit être assurée de respect. L’honneur héréditaire a les mêmes droits. Il ne doit être flétri ni dans le fils ni dans aucune des générations qui suivront, tant qu’elles s’en montreront jalouses. Le respect qui lui est dû comporte sans doute les mêmes exceptions que le respect de l’honneur personnel. Il s’abaisse devant l’obligation d’un service à rendre, soit à la société, soit à nos proches ou à nos amis. Un nom honoré est une force dont on peut abuser pour acquérir une influence dangereuse ou pour obtenir d’injustes avantages. Il peut donc être permis, dans un péril pressant, de le dépouiller de son prestige usurpé. L’exception relative aux fonctionnaires publics ou aux malfaiteurs ne trouve plus ici son application, puisqu’ils ne seraient plus personnellement en cause ; mais une autre exception en prend la place : c’est celle des droits de l’histoire. L’historien est un justicier, et sa justice doit pouvoir s’exercer librement, soit dans ses récits, soit dans ses jugemens, à l’égard de tous les faits qui rentrent dans le cadre qu’il s’est choisi. Son droit, comme celui du dénonciateur devant la justice pénale, n’a d’autre limite que la calomnie intentionnelle.
L’historien n’est respectable toutefois que s’il fait œuvre d’historien. Celui qui, dans un récit historique, introduirait hors de tout propos un personnage obscur dans le seul dessein de flétrir un de ses descendans, ne pourrait se prévaloir des droits de l’histoire. A plus forte raison, celui qui, dans un écrit quelconque, évoquerait, pour déshonorer un contemporain dans sa famille et dans son nom, un