Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvenir d’ordre tout privé, ne pourrait dire pour sa justification : c’est de l’histoire 1 Ici il n’y aurait qu’une agression contre l’honneur d’un vivant, et l’offensé, à quelque date que remontât le souvenir évoqué, aurait le droit d’en demander réparation.


V

La considération personnelle ou héréditaire n’est pas seulement atteinte par des imputations formelles : elle souffre aussi, et quelquefois plus gravement, parce que la défense lui est plus difficile, par des insinuations, par des propos ou des gestes injurieux. De telles attaques, quel qu’en soit le fondement ou le mobile, ne sauraient s’autoriser des mêmes exceptions qui peuvent rendre légitime une accusation directe. Il peut être permis de dénoncer un fait déshonorant ; mais le droit n’existe et ne peut se justifier qu’à la condition de s’exercer ouvertement et sans détour.

L’injure est toujours illicite, alors même qu’elle a le caractère et l’excuse d’un acte de courage ; l’insinuation peut être, dans certains cas, l’exercice d’un droit ou même l’accomplissement d’un devoir. Elle est quelquefois, sous un régime tyrannique, la suprême ressource de ceux qui se font un devoir de faire connaître des vérités déplaisantes pour les puissans, utiles pour tous. L’artifice qui s’y déploie est plus qu’une preuve d’esprit ou de courage ; c’est un effort d’honnêteté et de patriotisme.

On range encore parmi les atteintes à l’honneur, non plus des écrits, des paroles ou des gestes, mais certains actes qui n’ont pas besoin d’une dénonciation pour déshonorer leurs auteurs, tous les actes, en un mot, où se montrent publiquement des vices honteux : l’improbité, la lâcheté, la cruauté, la débauche. On y range même d’autres actes, dont les auteurs n’échappent pas à une juste flétrissure, mais qui sont, en même temps, considérés comme déshonorons pour leurs victimes elles-mêmes : l’adultère, à l’égard de l’époux trompé, et, à l’égard des femmes et de leurs familles, le viol, la séduction, l’abandon. Les coupables sont qualifiés, d’une manière générale, de « larrons d’honneur. » Cette idée d’un honneur passif, en quelque sorte, qui dépendrait, non des actes accomplis, mais des actes subis, n’est pas un pur préjugé. Elle atteste le haut prix qui s’attache à la chasteté des femmes et la solidarité des devoirs qui, dans le mariage et dans la famille, en font, pour chacun, l’objet de la plus jalouse vigilance. L’honneur, ainsi entendu, est l’expression, je ne dirai pas, avec M. Alexandre Dumas, d’un « capital, » mais d’un droit, dont le respect doit être assuré,