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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/708

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mêler moins à la politique. Ce n’est pas non plus de Balzac ou de George Sand.ni de Sainte-Beuve ou de Michelet. Et quand ils professent enfin superbement la doctrine de l’art pour l’art, ou de « l’autonomie de l’art, » ainsi que disait Gautier, quel est donc l’homme, dans ce siècle agité que nous vivons, qui en aura été le vrai représentant ? Flaubert, si l’on veut, mais avant Flaubert, encore Gautier, dont ce ne sera pas le titre le moins sûr à l’attention de la postérité.

Il est dans la nature, il est de belles choses :
Des rossignols oisifs, de paresseuses roses ;
Des poètes rêveurs, et des musiciens
Qui s’inquiètent peu d’être bons citoyens,
Qui vivent au hasard, et n’ont d’autre maxime,
Sinon que tout est bien, pourvu qu’on ait la rime.
…….
Il est de ces esprits qu’une façon de phrase,
Un certain choix de mots tient un jour en extase.
…….
D’autres seront épris de la beauté du monde,
Et du rayonnement de la lumière blonde.
Ils resteront des mois assis devant des fleurs,
Tachant de s’Imprégner de leurs vives couleurs.


Si ces vers ne sont peut-être pas des meilleurs qu’il ait faits, si le prosaïsme en est même surprenant, du moins le sens en est-il clair, et peuvent-ils passer pour significatifs. C’est Gautier qui a incarné de notre temps la doctrine de l’art pour l’art ; et, d’avoir incarné une doctrine, dans l’histoire de l’art, c’est toujours quelque chose. On pourrait ajouter qu’il importe peu qu’elle soit fausse, ou même qu’il n’y a rien de plus avantageux pour une doctrine d’art. En art, comme en science, et autre part encore, la vérité, une fois trouvée, devient vite anonyme, et c’est l’erreur, assez souvent, qui perpétue dans la mémoire des hommes, le renom de ses inventeurs.

Là-dessus, il serait un peu long de traiter la question de l’art pour l’art, et, d’ailleurs, pour y revenir aujourd’hui, nous y touchions trop récemment encore[1]. Bornons-nous donc à dire qu’elle est moins difficile et surtout moins embrouillée qu’on ne le veut bien dire, et qu’il suffirait presque à la trancher d’une distinction, la plus simple du monde. Elle ne se pose point en sculpture, en peinture, en musique ; ou n’a jamais débattu s’il était possible ou permis de démontrer une thèse en couleurs ; on n’a jamais douté qu’il fût dangereux de vouloir traiter en musique un problème social ; en un mot, on n’a jamais nié sérieusement que l’art de peindre ou celui de faire des bruits harmonieux

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1887.