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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/709

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fussent à eux-mêmes leur raison d’être et leur unique but. On demande maintenant si l’art d’écrire a ou n’a pas d’autre but que lui-même ? La réponse est fort simple. Oui, pour les poètes, l’art peut être son propre but à lui-même, et si

Les quatrains de Pibrac et les doctes tablettes
Du conseiller Matthieu


sont en vers, tablettes et quatrains, ils ont tort. Qu’on les remette en prose ! Mais pour tous les autres écrivains, et dans tous les autres genres, non pas même pour les romanciers ou les auteurs dramatiques, et à moins qu’ils ne se veuillent eux-mêmes condamner d’infériorité, l’art ne peut être à lui-même son but. Ici, comme dans cette question de forme, dont nous avons dit quelques mots plus haut, on a eu le tort de vouloir appliquer les mêmes principes à la prose et aux vers, et l’erreur est presque de même nature que si l’on voulait constamment appliquer les mêmes principes de critique à la peinture et à la musique. Les vers sont faits pour le « divertissement ; » prenez le mot dans son sens le plus noble et le plus élevé ; la prose est pour « l’action ; n et je prends le mot, comme on l’entend bien, dans son sens le plus étendu. Un discours est un acte, une histoire est un acte, un jugement est un acte, la Nouvelle Héloïse est un acte, le Mariage de Figaro est un acte.

En sa qualité de poète, je ne saurais donc m’étonner de trouver en Gautier un représentant de l’art pour l’art. C’est à peine même si je regretterai qu’il ne se soit pas fait de son art une conception plus élevée, c’est-à-dire, qu’étant capable d’écrire Émaux et Camées, il n’ait pas essayé d’écrire Jocelyn ou la Légende des siècles. Au contraire, et, si nous sommes juste, il faut l’admirer de n’avoir rien tenté au-delà de ses forces. Car, enfin, admirons-nous Voltaire pour avoir écrit la Henriade, ou Diderot pour être l’auteur du Père de famille ; et n’eussent-ils pas été mieux avisés ou plus prudens, se connaissant mieux l’un et l’autre, de ne point forcer leur talent ? N’ayant point le souffle lyrique, et s’en étant de bonne heure aperçu, mais doué d’un talent descriptif singulier, Gautier s’est contenté de décrire. Encore bien moins puis-je m’indigner qu’au risque de s’entendre accuser de paresse ou de coupable indifférence, n’étant qu’un artiste, il ait voulu vivre uniquement pour son art. Car, ce ne serait point une bonne chose que ce désintéressement, s’il gagnait tout le monde, et il ne faut pas le prêcher ; mais ce n’est pas non plus une mauvaise chose qu’il y ait des écrivains, ou des poètes au moins, qui ne se soucient que de leur poésie, ou, comme ils disent maintenant, que de leur « écriture ; » et leur exemple a son prix, aussi lui. On peut d’ailleurs être bien assuré qu’il ne