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moment où il pourra être interrogé régulièrement par le magistrat compétent. C’est seulement à l’issue de cet interrogatoire que cette arrestation provisoire sera transformée en arrestation définitive, et que l’inculpé sera écroué à la maison d’arrêt en vertu d’un mandat d’arrêt ou de dépôt (il est inutile ici de signaler les différences assez minutieuses qui séparent ces deux mandats) signé par un juge d’instruction. L’article 609 du code d’instruction criminelle faisant défense aux gardiens de maisons d’arrêt, sous des peines assez sévères, de recevoir ni retenir aucune personne, si ce n’est en vertu d’un mandat ou d’un arrêt de justice, il a été nécessaire de créer, pour répondre aux exigences de la pratique quotidienne, un assez grand nombre de lieux de détention provisoire, que la statistique pénitentiaire réunit sous le nom générique de chambres et dépôts de sûreté. Ces lieux de détention étaient, en 1884 (date de la dernière statistique pénitentiaire), au nombre de 3,129, sans compter ceux de la Seine : 64,795 individus y avaient subi pendant l’année 71,466 journées de détention. C’est dire que chaque inculpé y avait fait un séjour assez court. Néanmoins l’aménagement intérieur de ces dépôts n’est pas chose aussi indifférente que sont malheureusement portées à le croire les municipalités qui en sont responsables. Les individus appartenant aux catégories morales et sociales les plus différentes passent, en effet, par ces lieux de détention, depuis l’ivrogne ou la prostituée arrêtés sur la voie publique, jusqu’au voleur ou à l’assassin, sans parler des innocens qui, sous le coup d’une accusation injuste ou tout simplement pris dans une bagarre, peuvent parfaitement y faire un séjour plus ou moins prolongé. Ces premiers contacts de la prison ne sont pas chose indifférente, et il en peut résulter chez ceux qui les ont subis d’irrémédiables souillures. Que, dans les petites localités où ces lieux de détention sont habituellement vides, ils consistent tout simplement en une petite chambre plus ou moins bien aménagée, il n’y a donc rien là qui ne soit très naturel ni qui présente beaucoup d’inconvéniens. Mais dans les grandes villes, où le nombre des arrestations quotidiennes est considérable, où les violons (pour me servir de l’expression populaire) ne désemplissent pas, l’entassement et la promiscuité présentent des inconvéniens très sérieux. Pour certaines natures, ces premières heures de la détention sont peut-être les plus cruelles de toutes ; au moins ne faudrait-il pas en aggraver l’horreur en leur imposant des intimités dégradantes.

Je ne saurais dire comment sont aménagés les dépôts des grandes villes de France. Le hasard m’en a fait cependant visiter un il y a quelques années, celui de Lille ; je me souviendrai toujours d’y avoir vu cinq ou six femmes à demi nues, entassées dans un taudis qu’éclairait à peine une ouverture percée dans le haut de la muraille, et que garnissaient, pour tout mobilier, quelques planches