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motions se croisaient et se contredisaient. Le président de la Diète exaspérait le plénipotentiaire prussien par sa morgue et ses airs protecteurs. Ces luttes passionnées, en apparence personnelles, étaient le prélude du drame qui, après bien des péripéties, devait se dénouer à Sadowa.

A Vienne, pour tenir la Prusse à la remorque, on s’appliquait à l’isoler, à l’empêcher de jouer le rôle de grande puissance ; on indisposait contre elle la France et l’Angleterre ; on nous parlait de la duplicité de sa politique. A Berlin, on relevait avec bonheur, pour nous les signaler, tous les symptômes équivoques de la cour impériale ; on nous faisait entendre sur tous les tons et par tous les moyens[1] que le comte de Buol nous amusait avec de bonnes paroles, qu’il entrait dans ses desseins de laisser les puissances belligérantes s’affaiblir pour s’emparer plus sûrement des principautés danubiennes. Le gouvernement prussien guettait les défaillances de la politique autrichienne pour les exploiter tour à tour à Paris, à Londres et à Pétersbourg, au gré de son ambition.

« Nous devons, dans nos rapports avec la Prusse, tenir grand compte, écrivait le marquis de Moustier dans une lettre particulière adressée à M. Thouvenel, le directeur politique au ministère des affaires étrangères, de sa rivalité avec l’Autriche ; cette rivalité agit d’une manière constante ; elle nous sert de stimulant. M. de Manteuffel veut bien marcher parallèlement avec le gouvernement autrichien, mais non pas à sa remorque ; il veut faire jouer à son pays le rôle qui convient à une grande puissance. C’est une prétention que le cabinet de Vienne aussi bien que la Russie, lui ont toujours contestée, appuyés en cela par les cours allemandes. Si l’Autriche, ajoutait M. de Moustier, faisait cause commune avec la Russie, M. de Manteuffel, j’en suis convaincu, conseillerait au roi de se reporter du côté de la France et de l’Angleterre ; il ferait briller à ses yeux l’espoir de ressaisir le premier rang en Allemagne, de se débarrasser de la tutelle de l’Autriche et de la Russie, et peut-être de s’entendre avec nous sur des remaniemens territoriaux après lesquels on soupire bien bas, mais très ardemment. Mais, si l’Autriche marche avec nous, la Prusse n’a plus le même espoir ; il ne faudrait donc pas, si dans certaines circonstances nous sommes satisfaits du cabinet de Vienne, être alarmés de voir celui de Berlin agir d’une façon différente. Ce ne serait pas un pas vers la Russie, ce serait l’envie d’être indépendans. Ne pas encourager les velléités

  1. Le baron de Manteuffel se servait d’un de ses familiers comme intermédiaire auprès de la légation de France et de la légation d’Angleterre ; c’était un Israélite, initié à ses affaires, dont les indiscrétions, voulues ou involontaires, étalent précieuses.