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cours de ce récit, que, si la Prusse n’a pas figuré, pendant la guerre de Crimée, au nombre des alliés de la France et de l’Angleterre, cela n’a pas dépendu du baron de Manteuffel.

La nouvelle d’une révolution à Constantinople, qui avait si fort alarmé le cabinet de Berlin, était fausse, comme plus tard celle du Tartare annonçant la prise de Sébastopol. Mais, peu de jours après mon entretien avec le président du conseil, l’envoyé du tsar démasquait ses batteries ; il demandait la destitution « d’un grand-vizir fallacieux ; » il réclamait, sous la forme d’un ultimatum, la protection des sujets chrétiens, garantie par un traité qui serait « à l’abri des interprétations d’un mandataire malavisé et peu consciencieux. » Le sultan refusa de signer sa déchéance ; le prince Mentchikof se réembarqua le 28 mai, trois mois après son entrée triomphale dans le Bosphore. La question d’Orient s’ouvrait menaçante. Au mois de juillet, les Russes franchirent le Pruth et pénétrèrent dans les principautés danubiennes. L’Europe eut la sensation frissonnante de la guerre. Des conférences s’ouvrirent à Vienne. La Russie refusa d’y paraître. L’Angleterre, la France, l’Autriche et la Prusse lui notifièrent la note célèbre des quatre garanties. Des négociations s’engagèrent ; on crut à la paix, lorsque, le 5 octobre, la Turquie, en réponse à l’interprétation que le comte de Nesselrode donnait à la note des garanties, déclara inopinément la guerre à la Russie. Six mois plus tard, après la destruction de la flotte ottomane à Sinope, la France et l’Angleterre signèrent le traité du 10 mars 1854 et à leur tour ouvraient les hostilités.


I. — L’ALLEMAGNE ET LES COMPLICATIONS ORIENTALES.

Les complications orientales avaient ravivé les ressentimens et les jalousies qui, depuis Olmütz, présidaient sourdement aux relations de l’Autriche et de la Prusse. Les protestations amicales qui s’échangeaient entre les deux cours masquaient un profond antagonisme que leur diplomatie reflétait avec plus ou moins d’âcreté, selon le tempérament des agens. « Nous espérons la paix, disait le baron de Prokesch à la Diète de Francfort, et notre confiance est fondée sur les assurances de l’empereur Nicolas. » — « Nous ne pouvons nous dissimuler, disait, quelques jours après, le baron de Manteuffel aux chambres prussiennes, que la paix est gravement menacée, et notre crainte est fondée sur des faits. « Il suffisait que dans l’assemblée fédérale le délégué autrichien émit une opinion pour que le délégué prussien la combattit. Le baron de Prokesch et M. de Bismarck étaient en guerre ouverte. Les séances du Bundestag se succédaient orageuses, marquées d’incidens irritans ; les