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impatiemment ; il en était déjà à regretter le traité du 2 décembre[1], signé avec la France et l’Angleterre, et qui, dans de certaines éventualités prévues par un article secret, pouvait l’entraîner dans la guerre.

Le comte de Buol était grand de taille, beau de visage ; ses succès mondains et sa rapide carrière l’avaient déséquilibré ; il était enclin à l’orgueil, pour ne pas dire à la fatuité. Le prince de Bismarck disait d’un diplomate qui portait haut comme le ministre autrichien : « On n’a jamais pu savoir au juste s’il est dinde ou paon. » Ce mot appliqué au comte de Buol eût été excessif. L’expérience des affaires ne lui faisait pas défaut ; ce qui lui manquait, c’était l’intuition, ce don précieux indispensable aux hommes d’état. Sa science gouvernementale n’avait rien de personnel ; il la puisait dans les préceptes du prince de Metternich. Le jour où il voulut sortir de l’ornière tracée et s’inspirer des maximes hardies et peu scrupuleuses du prince de Schwartzenberg, il succomba à la tâche. De tous les plénipotentiaires qui ont signé la paix de Paris, le comte de Buol-Schauenstein était, avec le comte Walewski et lord Clarendon, celui qui donnait du diplomate grand seigneur l’image la plus parfaite. Il apparaît au premier plan sur la toile qui, dans le salon d’honneur du ministère des affaires étrangères, représente les membres du congrès assis dans un fauteuil, devant le tapis vert, assombri, méditatif. Derrière lui, dans le fond, on aperçoit le comte de Cavour et le baron de Manteuffel. C’est par la grâce de Napoléon III qu’ils ont pu pénétrer dans le sanctuaire et participer aux délibérations, l’un contre le gré de l’ambassadeur d’Autriche, le second contre la volonté de l’ambassadeur d’Angleterre. Rien dans leur tournure ne dénote le gentilhomme de race. Leur tenue est négligée, bourgeoise ; mais derrière les verres de leurs lunettes brillent des regards pénétrans, obliques, qui laissent deviner d’ardentes convoitises. Les anciens de la carrière ne passent jamais devant ce tableau sans un serrement de cœur. Je le revis au mois de mai 1871, dans de dramatiques circonstances, le 22 au matin, après l’attaque des fédérés contre le Ministère, troué de balles fratricides ; peu s’en fallut que, dans cette nuit tragique, que j’ai retracée un jour d’une

  1. Par le traité du 2 décembre, la France, l’Angleterre et l’Autriche convenaient de poursuivre en Orient un but déterminé : le rétablissement de la paix au moyen d’arrangemens propres à éviter le retour des complications qui l’avaient troublée. L’Autriche s’engageait à défendre la Moldavie et la Valachio contre tout retour des forces russes ; l’occupation autrichienne ne devait porter aucun préjudice aux opérations militaires des troupes françaises, anglaises et turques dans les Principautés. Un article secret, ayant la même valeur que le texte officiel, stipulait que, dans le cas où la Russie refuserait d’accepter les conditions débattues et concertées dans les conférences de Vienne, on procéderait immédiatement aux mesures résultant d’une alliance offensive et défensive. La France et l’Angleterre garantissaient le statu quo en Italie.