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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/880

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plume frémissante, ce legs de nos grandeurs passées, dernier souvenir d’une guerre glorieuse et de rapides années de prépondérance, ne pérît dans la tourmente qui emportait la fortune de la France[1].

L’Autriche, en signant le traité du 2 décembre 1854, avait espéré que les coups portés à la Russie par la France et par l’Angleterre seraient rapides et décisifs, et qu’il lui suffirait de leur prêter son concours moral pour bénéficier de la guerre et s’assurer une grande situation dans la vallée du Danube et dans les Balkans. Elle s’apercevait tardivement qu’elle s’était exagéré la puissance d’action des deux alliés, et que, s’ils devaient éprouver de graves échecs, elle se trouverait directement aux prises avec les armées russes, sans pouvoir compter avec certitude sur l’assistance de l’Allemagne. La puissance navale de la Russie dans la Mer-Noire la préoccupait moins que la prépondérance russe sur la Vistule au cœur de l’Europe, aux points douloureux de ses frontières ; elle était encore plus soucieuse de ses possessions italiennes et de son autorité séculaire en Allemagne que de l’intégrité de l’empire ottoman. Elle ne demandait pas mieux que de peser diplomatiquement sur le cabinet de Pétersbourg pour lui imposer la paix, mais elle éprouvait une grande répugnance à se jeter dans la guerre sans être certaine du concours militaire de la Confédération germanique. La question d’Orient, malgré sa gravité, ne parvenait pas à détacher son attention de la question allemande. Son premier ministre se préoccupait à juste titre des sympathies russes qui se manifestaient dans les cours d’Allemagne et qu’à Francfort la Prusse exploitait à son détriment. Il n’avait plus qu’un souci : détendre les liens qu’il avait contractés et faire oublier au cabinet de Pétersbourg l’hostilité de ses procédés. « La convention du 2 décembre, disait M. de Bismarck, lui fait éprouver les angoisses du rat dans une maison prête à s’écrouler. » La paix s’imposait à la politique autrichienne ; M. de Buol ne négligea aucune habileté pour la faire prévaloir.

Après de longs débats, les trois ministres tombèrent d’accord. Leur projet reposait sur le principe de la limitation. Il était interdit à la Russie de dépasser l’effectif actuel de ses forces navales dans l’Euxin ; les alliés se réservaient le droit d’y envoyer quatre frégates, et, en cas de danger, d’y pénétrer avec leurs flottes. Les détroits restaient fermés à la Russie ; on tenait à mettre Constantinople à l’abri d’une attaque militaire partant de la Crimée. La Turquie devait participer aux avantages du droit public de l’Europe, et les puissances signataires s’engageaient à faire respecter l’intégrité

  1. L’Allemagne et l’Italie, 1870 à 1871 : le Ministère des affaires étrangères pendant les derniers jours de la Commune, t. II, p. 433.