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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/881

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de ses possessions. L’Autriche acceptait toutes les conséquences du traité du 2 décembre ; elle promettait de lui donner un caractère offensif si les propositions arrêtées par la conférence étaient rejetées ; elle se chargeait de les notifier au cabinet de Pétersbourg sous la forme d’un ultimatum. Par un article secret, M. de Buol s’engageait, en outre, à considérer comme casus belli tout développement excessif donné à la marine russe dans l’Euxin, et il se déclarait prêt à signer avec nous une convention militaire au moment de la notification de l’ultimatum. M. Drouyn de Lhuys avait lieu d’être satisfait de sa mission : le but ostensible de la guerre était atteint ; l’Autriche lui avait concédé tout ce qu’il pouvait espérer en face de notre situation militaire en Crimée.

L’empereur, tandis qu’on négociait à Vienne, était parti pour l’Angleterre, où il était l’objet d’ovations enthousiastes[1]. Il avait télégraphié à M. Drouyn de Lhuys, le 15 avril 1855, avant de quitter Paris : « J’ai reçu votre courrier ; tout ce que vous avez dit et fait à Vienne est si bien, que je n’ai aucune instruction nouvelle à vous donner. Je pars pour Londres. » Il était à ce moment en parfaite communauté de vues avec son secrétaire d’état. Mais ses idées se modifièrent au contact des hommes politiques anglais ; elles ne cadraient plus avec les arrangemens qui avaient prévalu à la conférence. Dès son retour, le 25 avril, il télégraphiait à M. Drouyn de Lhuys que, n’étant pas suffisamment renseigné sur la teneur et l’esprit du traité, il ne pouvait l’autoriser ni à refuser ni à accepter. Il annonçait qu’il allait écrire à Londres pour savoir ce que ferait le gouvernement anglais, en ajoutant que son opinion était de rompre. « Je n’accepterai pour rien au monde, disait-il, quoi que ce soit qui maintienne l’état d’avant la guerre ; il est temps que les incertitudes cessent. » Il était ravi de son voyage en Angleterre ; « il a été admirable sous tous les rapports, » disait la dépêche[2].

M. Drouyn de Lhuys ne pouvait s’y tromper : l’empereur refusait de sanctionner les combinaisons qu’il avait si laborieusement préparées. Sa déception fut vive ; il croyait avoir bien mérité de son pays et de son souverain, et ses efforts étaient méconnus. Un instant, il put croire à un retour vers sa politique. Déjà François Joseph l’avait admis en audience de congé, lorsque l’empereur lui télégraphia : « Ne partez pas encore ; attendez que j’aie réfléchi. » Le lendemain, toute incertitude était levée : M. Drouyn de Lhuys quittait Vienne,

  1. Mémoires de lord Malmesbury. — « Les ministres anglais et français ont persuada à Napoléon de rendre visite à la reine, dans l’espoir de l’empêcher d’aller on Crimée. »
  2. Les Quatre ministères de M. Drouyn de Lhuys, par le comte Bernard d’Harcourt, ancien ambassadeur.