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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/909

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tête sur le billot. Puis, le corps fut porté aux Saints-Apôtres, l’église des Colonna. La mère attendait, en deuil, sous le portique, entourée des patriciennes de sa famille ; elle fit ouvrir le cercueil, prit par les cheveux la tête de son fils, la souleva et dit : « Regardez, voici la tête de mon enfant et la bonne foi du pape Sixte ! »

Le 12 août 1484, le chapelain Burchard écrivait : « Aujourd’hui, vers cinq heures de nuit, est mort notre très saint-père en Jésus-Christ et seigneur Sixte IV, pape, par la divine Providence ; que Dieu daigne recevoir son âme avec pitié. Amen ! » Il faut lire, dans le Chroniqueur du Vatican, le récit de ces étonnantes funérailles. L’appartement du pape fut pillé en un clin d’œil, par les valets et les prélats. On dut emporter le mort dans sa couverture et une tapisserie arrachée à la porte de sa chambre. On le coucha nu sur une table de la salle du Papagallo, pour le laver. Burchard ne trouva ni aiguière ni bassin ; « enfin le cuisinier apporta le chaudron qui servait à laver la vaisselle, avec de l’eau chaude, et le barbier Andréa envoya un bassin de sa boutique ; nous lavâmes le corps du pontife, et, comme nous n’avions pas de serviette pour l’essuyer, je déchirai la chemise dans laquelle il était mort et m’en servis… Nous l’habillâmes, sans chemise, d’une soutanelle, d’une paire de pantoufles données par l’évêque de Cervia. » On le revêtit d’ornemens de rencontre, d’une vieille chasuble trouée, mais on ne put trouver ni rochet ni croix pectorale ; il fallut cinq ou six heures pour obtenir une vingtaine de cierges ; huit cardinaux seulement suivirent la procession funèbre du palais à Saint-Pierre. Ils s’empressèrent de rentrer chez eux. La personne du pape n’était plus sacrée ; la perversité de la tyrannie avait effacé de son front le signe du sacerdoce. Le sentiment populaire, comme celui de l’église elle-même, ne reconnaissait plus en lui le légat de Dieu.

Sixte IV n’était pas descendu dans les caveaux funèbres de Saint-Pierre, que le peuple romain, soulevé contre les neveux, brûlait leurs palais, tandis que les factions Orsini et Colonna se massacraient dans les rues, que les cardinaux et les nobles barricadaient l’entrée de leurs maisons. Rome traversa des jours horribles jusqu’à l’élection d’Innocent VIII. Ce pape, encore un Génois, fut élu, comme son prédécesseur, grâce à une scandaleuse simonie. Borgia avait espéré la tiare pour cette fois ; il compta les voix de ses partisans, et, les jugeant trop peu nombreuses, il les vendit, la sienne comprise, au cardinal Gibò. L’élection fut conduite par Julien de la Rovere, qui allait être, sous deux pontificats, le personnage le plus puissant et le plus dangereux du sacré-collège. Innocent VIII s’empressa de reprendre, dans la politique italienne, le jeu des alliances inauguré par Sixte ; avec Gênes et Venise, il