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III.

À défaut des hommes, les monumens nous parleront peut-être du passé byzantin de la ville. Quel mystère que cet engloutissement d’un monde ! Quel naufrage comparable à celui de ces fameux galions espagnols, abîmés jadis avec leurs richesses, et que la sonde ne peut plus retrouver ! Nos cathédrales du XIIIe siècle sont encore debout : c’est à peine si quelques fleurons manquent à leur couronne. Les monumens de la Rome impériale, aussi vieux que l’ère chrétienne, défient toujours les injures du temps. Et de cette riche et magnifique Byzance, qui a prolongé la tradition romaine jusqu’au milieu du XVe siècle, il ne reste que quelques mosaïques, quelques voûtes défigurées par un enduit barbare. Le temps s’est fait complice de la grande erreur du moyen âge, et laisse tomber les édifices, comme nos pères ont laissé succomber sans secours le boulevard de la chrétienté, en léguant à l’époque moderne tous les embarras de la question d’Orient. Nous-mêmes, sous l’influence de je ne sais quel préjugé scolastique, nous flétrissons du mot banal de décadence dix siècles d’une admirable civilisation. Le terme de byzantinisme est devenu chez nous l’équivalent de bavardage, de bassesse et de lâcheté. Personne ne nous a enseigné à discerner, derrière la subtilité des querelles religieuses, l’effort sincère de quelques bons esprits pour introduire un peu de philosophie dans un dogme qui se compliquait tous les jours. L’église a condamné en bloc la tentative des empereurs destructeurs d’images, qui cependant combattaient une des formes du fétichisme. Nos historiens n’ont pas vu que ces grands hommes, toujours aux prises avec l’islamisme, c’est-à-dire avec une religion d’une extrême simplicité, désireux de reconquérir l’Asie par la propagande autant que par les armes, devaient chercher à débarrasser la doctrine chrétienne de ses branches parasites, afin de la rendre pi us accessible aux intelligences orientales. Ils échouèrent dans cet essai de transaction, comme ils échouèrent plus tard dans une tentative de rapprochement avec Rome. Supérieurs à leur siècle, ils ne purent démontrer à l’Europe, déjà absorbée par l’égoïsme d’état, qu’en laissant entamer l’unité du monde chrétien, elle se créait pour l’avenir d’interminables difficultés. Que dire du courage et de la science politique de ces princes qui, au moment de la débâcle de l’empire d’Occident, supportèrent sans lâcher pied vingt invasions successives, et réussirent à enchaîner ou à dompter les barbares qu’ils ne pouvaient détruire ? de ces Phocas et de ces Zimiscès qui arrêtèrent en Asie le flot de l’invasion arabe, et sauvèrent une première fois l’Europe malgré elle ? de ces Paléologues qui, chassés