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astreints ni au port du costume pénal, ni au travail. Ils peuvent, moyennant paiement, se procurer les vivres qui leur conviennent, dans certaines limites cependant, et, lorsque le juge d’instruction ne met pas obstacle à leurs communications avec le dehors, ils ont la faculté du parloir tous les jours. Sauf ces différences, leur régime est identique à celui des condamnés. La principale ressemblance consiste généralement en ceci, qu’ils sont entassés pêle-mêle dans la même pièce et qu’ils vivent dans une promiscuité ininterrompue de jour et de nuit. Pour des prévenus surtout, c’est là un vice capital. En effet, cette séparation entre les prévenus et les condamnés, qui, au premier abord, paraît satisfaisante à l’esprit, ne présente dans la pratique aucun intérêt. La séparation qu’il importerait de réaliser serait celle entre le prévenu coupable et le prévenu innocent. Qu’importe, en effet, à ce dernier que son compagnon de captivité soit ou ne soit pas encore condamné, si c’est, en réalité, un voleur ou un assassin? La condamnation n’ajoute rien aux répugnances du contact ou à ses périls. La séparation absolue des prévenus entre eux est donc la seule mesure qui ne soit pas illusoire. Nous avons vu combien est petit le nombre des prisons où cette séparation peut être mise en pratique : quatorze seulement. Partout ailleurs, l’homme qui est victime d’une accusation injuste, peut-être d’une dénonciation calomnieuse, doit subir la plus dégradante des promiscuités. Mais ce n’est pas seulement pour le prévenu innocent que cette promiscuité est odieuse ou dangereuse ; elle peut, dans certains cas, l’être tout autant pour le prévenu coupable. Les premières heures qu’un homme passe en prison, lorsqu’il n’est pas un malfaiteur d’habitude, sont les plus cruelles de sa vie. Le remords, le sentiment de son déshonneur, la crainte du châtiment s’unissent pour produire chez lui un trouble et parfois un désespoir auxquels l’équilibre de ses facultés ne résiste pas toujours. Par là s’expliquent ces suicides si fréquens chez les prévenus, et qui s’accomplissent souvent pendant les premières heures de la détention, en dépit de toutes les précautions et de la surveillance. Mais l’horreur de cette situation est encore aggravée pour lui lorsqu’il se trouve exposé aux lazzi de ses compagnons de captivité, endurcis dans le crime. Peut-être, pour échapper à leurs railleries, finira-t-il par simuler une indifférence et un cynisme qui d’abord ne seront pas au fond de son cœur, mais qu’une affectation continue finira par rendre trop réels. À ce point de vue, la promiscuité de la prison présente peut-être d’aussi graves périls pour le coupable que pour l’innocent. Aussi le système cellulaire, qui a rencontré des adversaires très sérieux, appliqué aux condamnés, n’a-t-il jamais soulevé d’objections appliqué aux prévenus. Mais, dans l’immense majorité de nos prisons, les prévenus sont détenus en commun, et leur vie