était de recevoir en dépôt les condamnés correctionnels à plus d’un an et les réclusionnaires attendant leur transfèrement dans les maisons centrales, ainsi que les forçats à destination de Cayenne ou de la Nouvelle-Calédonie. À cette population se sont ajoutés depuis les correctionnels récidivistes, condamnés à plus de trois mois de prison. La Grande-Roquette avait été aménagée en vue de l’isolement des détenus pendant la nuit, avec travail en commun pendant le jour. Certes, cet état de choses vaut en lui-même infiniment mieux que la promiscuité pure et simple, de jour et de nuit, qui règne à Sainte-Pélagie. Mais il n’y faut pas voir une application du système célèbre auquel la grande prison américaine d’Auburn a donné son nom, et qui a été opposé pendant longtemps au système cellulaire. L’idée mère du système d’Auburn était d’empêcher toute communication entre les détenus, en leur imposant un silence tellement absolu et rigoureux, que jamais aucune parole ne s’échangeât entre eux. Or il s’en faut que le silence absolu soit la règle de la Grande-Roquette. Tout d’abord les fenêtres des cellules sont construites de telle façon que la conversation y est possible, facile même, d’une cellule à l’autre. Bien plus, elle est autorisée, depuis l’heure où les détenus remontent de l’atelier ou du préau, jusqu’à l’heure de l’extinction des feux, et il n’est pas douteux, malgré les rondes de surveillance qui passent de temps à autre dans les couloirs, que ces communications ne continuent fort avant dans la nuit. On ne saurait, en effet, demander aux détenus de consacrer au sommeil les dix à douze heures qu’ils passent en moyenne dans ces cellules. Souvent, d’ailleurs, l’encombrement de la maison oblige à utiliser trois dortoirs en commun, qui sont tenus en réserve, ou à mettre deux détenus par cellule, ce qui est le pire des expédiens. Mais l’absence de communication fût-elle absolue pendant la nuit, la promiscuité des détenus pendant le jour détruirait tous les avantages de ce système. Il en est, en effet, de la Grande-Roquette comme de Sainte-Pélagie : les ateliers ne peuvent pas contenir toute la population de la maison, et près d’un tiers des détenus subit sa peine lâché en liberté dans l’unique préau de la prison. C’est le même spectacle de désœuvrement et de flânerie que présentent les préaux de Sainte-Pélagie. A voir ces individus qui mangent, causent et se promènent la pipe ou la cigarette à la bouche, on dirait des ouvriers dans un chantier à l’heure du repos, n’étaient la bassesse de leur physionomie et l’aspect uniforme que leur donne la livrée de la prison. Notons en passant que cette tolérance de fumer n’existe que dans les prisons de la Seine et n’est accordée dans aucun autre lieu de détention. C’est là ce qui leur vaut leur bonne renommée, dans le monde des malfaiteurs, ainsi que la qualité meilleure de la nourriture
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