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n’y a dans toute la Serbie qu’une classe : car la bourgeoisie, de fraîche date, composée de fonctionnaires, de professeurs, de médecins et de légistes, est toute voisine de ses origines rurales et ne songe pas à les renier. Dans les nombreuses cérémonies de famille, — le jour de la fête du patron (slava), autour du gâteau symbolique et des cierges allumés; aux mariages, lorsqu’on place la couronne sur la tête des époux: aux enterremens, tandis que la veuve ou la mère font entendre leurs lamentations rythmées, — on voit se confondre les parens de la ville et ceux de la campagne, les vestes de bure et les redingotes, les chemises de toile brodée, les corsages de soie à galons d’argent. La dame n’a point d’orgueil et la paysanne pas de jalousie.

Ces traits expliquent les qualités et les défauts de la race : elle est ennemie de toute espèce d’affectation, très fière et point vaniteuse. Les affaires publiques ne font point ici le même bruit qu’en Grèce : elles se conduisent paisiblement. On aime l’art de bien dire, mais point les cris. Les officiers ne sont pas traîneurs de sabres et ne brusquent pas les hommes. Les politiques n’ont point de morgue. Tel personnage dont le nom est connu dans toute l’Europe vous accueille avec une simplicité cordiale et ne songe guère à poser pour la postérité. Ajoutez une facilité de raisonnement qui met tout le monde de plain-pied, un sens politique très développé, même chez les paysans, voilà certainement des avantages.

Voici maintenant les inconvéniens : la race serbe manque d’émulation. Au lieu de déployer hardiment ses facultés, elle se replie volontiers sur elle-même et s’isole. Le fond de son caractère est la défiance. Il n’y a peut-être pas en Europe de race plus pure d’alliage, ni de plus rebelle à tout mélange. On a remarqué qu’il fallait aux peuples les mieux doués, ainsi qu’aux lingots d’or, un peu d’alliage pour entrer dans la circulation. Les Serbes accueillent bien l’étranger de passage: ils éliminent celui qui cherche à s’implanter chez eux. Ils dédaignent de mettre à profit le supplément d’activité qui leur viendrait du dehors. Voilà pourquoi ils n’ont pas entièrement secoué leur engourdissement[1].

Autre difficulté : le défaut de classe supérieure et l’excessive égalité. Qui donnera l’impulsion aux progrès agricoles? qui risquera ses capitaux dans des entreprises nouvelles, lorsqu’il y a

  1. Après le traité de Berlin, les Serbes ont donné une nouvelle et dangereuse preuve de ces dispositions réfractaires. Ils ont expulsé en masse les Albanais des provinces qui leur étaient dévolues. Ils se sont ainsi créé des ennemis mortels, précisément du côté où leurs aspirations les entraînent. Si jamais ils tournent les yeux vers l’ancienne Serbie, la domination turque n’aura pas de plus fermes défenseurs que les Albanais.