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III.

On a vu qu’au mois de février un essai de négociation, entamé avec les Hachem-Cheraga par La Moricière, avait échoué sous le prétexte qu’Abd-el-Kader était lui-même ou par un de ses khalifas en pourparlers avec le général Bugeaud. Dans cette diversion habilement imaginée par l’émir, il y avait une part de vérité. Depuis son arrivée en Algérie, on peut même dire avant son arrivée, car la persécution avait commencé à Marseille, le général Bugeaud n’avait pas cessé d’être poursuivi par un intrigant italien, nommé Natale Manucci, une espèce de Ben-Durand subalterne qui prétendait, comme l’autre, être en état de machiner un accord, sinon avec Abd-el-Kader, du moins avec quelques-uns de ses khalifas. « Comme je n’ai pas foi aux choses miraculeuses que vous me promettez, lui avait dit le gouverneur, je ne vous donnerai ni mission ni argent. Tentez la chose à vos risques et périls; si vous réussissez, je demanderai une récompense pour vous au gouvernement. »

Néanmoins, au mois de septembre 1841, il lui avait donné pour Ben-Allal-ben-Sidi-Mbarek une lettre dans laquelle il déclarait que, bien décidé à ne traiter jamais avec l’émir, il s’entendrait volontiers avec ses lieutenans. Nanti de ce document, Manucci avait disparu, et pendant plusieurs mois on n’avait plus entendu parler de lui; aussi le général Bugeaud écrivait-il au maréchal Soult : « Manucci est un misérable, un agent sordide d’Abd-el-Kader, un fourbe qui a essayé de manger à deux râteliers. Son frère, qui est à Gibraltar, fournit des armes et des munitions à notre ennemi. »

Tout à coup, au mois de février 1842, on vit reparaître l’intrigant, qui se disait autorisé par les trois khalifas Sidi-Mbarek, Barkani et Ben-Salem à traiter de leur soumission à la France. Le gouverneur était alors dans la province d’Oran ; le général de Rumigny lui envoya Manucci, qui soutint effrontément son dire. A Tlemcen, on avait pris un ancien agha des réguliers; le général Bugeaud lui demanda ce qu’il savait des khalifas : « j’ignore, répondit l’Arabe, ce qu’ils ont au fond du cœur, mais j’ai entendu le sultan lui-même répondre à des chefs qui demandaient la paix : « Je ne puis faire la paix avec les chrétiens, la religion me le défend; mais, puisque vous ne savez pas supporter les maux de la guerre, j’ai mandé à Mbarek de faire avec les Français un semblant de paix dans laquelle je ne paraîtrai pas. » Peu de temps après, le gouverneur avait regagné Alger, suivi de Manucci sous bonne garde.

C’était le général Changarnier qui, de Blida, devait suivre les