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Ben-Allal et forçant le khalifa lui-même à s’éloigner vers le plateau du Sersou. Teniet-el-Had fut dépassé. Le 29 juin, au bivouac d’Aïn-Toukria, un des grands des Ayad, Ameur-ben-Ferhat, vint, au nom de la tribu, présenter au général le cheval de qâda.

Deux jours après, le 1er juillet, pendant que les troupes faisaient halte auprès d’Aïn-Tesemsil, Changarnier, qui d’aventure avait poussé son cheval au-dessus de la source, s’arrêta tout à coup, saisi de surprise : devant lui, à ses pieds, le Nahr-Ouassel, aux eaux rares et paresseuses; au-delà, sans limite à l’horizon, l’immense plateau du Sersou; au milieu de cette solitude, d’épais nuages de poussière dorés par le soleil. Descendre la colline en deux bonds, faire sonner à cheval, lancer d’abord le colonel Korte avec les chasseurs d’Afrique en selle nue, puis les goums des Djendel et des Ayad, ce fut fait en quelques minutes. Mais il y avait trois lieues à courir tout d’une traite et des coups de sabre à donner avant de savoir ce que couvraient ces nuages. C’était une énorme colonne d’émigrans. Le combat fut vif et court ; la razzia qui suivit n’avait pas encore eu sa pareille : 3,000 prisonniers de toute condition, de tout sexe et de tout âge; 1,500 chameaux, 300 chevaux et mulets, 50,000 têtes de bétail, bœufs, moutons et chèvres.

Le lendemain, de dix lieues à la ronde, les envoyés des tribus arrivèrent pour s’incliner devant la force et tâcher d’obtenir quelques bribes de ce prodigieux butin. Changarnier fut généreux ; à part quelques otages, il renvoya les prisonniers et paya largement en bestiaux l’aide des auxiliaires et le zèle des néophytes.

Telle était la nouvelle qui, propagée avec la rapidité de l’éclair, vint tomber, comme un coup de foudre, au milieu d’Alger, sur les grands du Titteri rassemblés devant le gouverneur.

Plus retentissant et terrible, un autre coup, par malheur, allait couvrir de son fracas le bruit de ce succès. Le 18 juillet, une dépêche arriva de France : le duc d’Orléans est mort!.. A la stupeur du premier moment succéda un élan de douleur et de regret. Particulièrement atteinte, l’armée d’Afrique sentit qu’elle venait de perdre le plus actif et le plus intelligent des protecteurs. Parmi les témoignages de deuil venus de tous les points de l’Algérie, celui du lieutenant-colonel de Saint-Arnaud est assurément un des plus remarquables.

Simple lieutenant d’infanterie à trente-cinq ans, après de singulières vicissitudes de jeunesse, Leroy de Saint-Arnaud avait, en 1833, servi d’officier d’ordonnance au général Bugeaud, alors gardien de la duchesse de Berry à Blaye. Le général se prit de goût pour son esprit vif, alerte, original, et quand il le retrouva plus tard en Afrique, où de sérieuses qualités militaires l’avaient déjà mis en relief, il lui donna tous les moyens de regagner par un